Carte n° 52410: Verbes en -āre (conjugaisons 1A et 1B), 1^re personne pluriel (1pl) de l’indicatif imparfait

Corpus

La carte n° 52410 regroupe toutes les attestations disponibles dans nos matériaux pour la 1pl de l’indicatif imparfait des verbes en ‑āre à radical palatalisant ou non: dans la plupart des parlers, les désinences des deux conjugaisons se confondent; une distinction nette ne se manifeste que dans cinq dialectes (Arbaz, Fully, Les Marécottes, Orsières et Troistorrents). Les informations manquent pour quatre parlers (Val-d’Illiez, Vouvry, La Chapelle-d’Abondance et Sixt) qui remplacent très souvent «nous» par «on».

Relevés antérieurs

La 1pl de l’imparfait des verbes en -āre n’est pas documentée dans les enquêtes géolinguistiques antérieures à la nôtre (ALF, TP).

Cartographie, analyse

• Un petit groupe de quatre parlers (Fully, Les Marécottes, Orsières, Troistorrents) présente les formes francoprovençales «canoniques» de l’imparfait des verbes issus de la 1^re conjugaison latine en -āre. Ils conservent le [v] correspondant au -b- intervocalique de la désinence latine (-ābāmus) et représentent fidèlement la bipartition francoprovençale des verbes en -āre après radical palatalisant ou non:

	conjugaison 1A (radical non palatalisant): [av, ɑv]	conjugaison 1B (radical palatalisant): [ɛʋ, iəv, ʲøʋ] ou [iv, ʏv, ʲʏʋ]
Fully	depjøtˈɑv	mødzˈʏv
Les Marécottes	ɑtsətˈɑv	mdʒˈɪəv
Orsières	pɔʀtˈaʋɛ	mndʒʲˈøʋ, mʏdʒʲˈʏʋɛːn
Troistorrents	alaʋ	tʃãʑjˈɛʋ*

* forme de la 3^e personne du singulier

Une forme ponctuelle en [av] apparaît en outre à Chalais, en concurrence avec d’autres formes de l’imparfait; quant au parler de Torgnon, il a généralisé des formes en [iv] ou [i] pour tous les verbes de la première conjugaison. En principe, toutes ces formes portent l’accent tonique sur le morphème de l’imparfait.

• Tous les autres parlers de notre corpus présentent des désinences dans lesquelles le [v] étymologique s’est amuï. Parmi ceux-ci, seules les formes d’Arbaz montrent la bipartition francoprovençale de la première conjugaison:

	conjugaison 1A (radical non palatalisant): [ɑ]	conjugaison 1B (radical palatalisant): [i, j]
Arbaz arécottes	ɐtstˈɑ	mĩzjˈ, tsɪŋkanˈiː

À Lourtier, la distinction des deux conjugaisons est partielle, les désinences de la conjugaison 1B ayant tendance à se propager analogiquement au dépens de la conjugaison 1A (à ce sujet, cf. déjà Bjerrome 1957: 88 et 93s.). Selon Bretz-Héritier 1996: 73s., une tendance analogue s’observe à Savièse. Nos propres matériaux ne contiennent cependant aucune 1pl de la conjugaison 1A permettant d’observer le phénomène. Partout ailleurs, la distinction des deux conjugaisons a été abandonnée, soit au profit de la conjugaison 1A (formes en [ɑ] de Lens, Montana, Chalais, Bionaz) ou de la conjugaison 1B (formes en [i] ou en [e] d’Évolène, St-Jean, Liddes). L’amuïssement du [v] a produit des désinences «contractées», monosyllabiques ou diphtonguées portant l’accent tonique, à Montana, Lens, Évolène et Liddes, ainsi que, partiellement, à Conthey, Isérables, Lourtier, Chalais et St-Jean.

• Dans un groupe cohérent de parlers situés au centre du domaine (Chamoson, Conthey sur la rive droite du Rhône, Isérables, Nendaz, Hérémence et en partie Chalais sur la rive gauche), on observe l’apparition d’un morphème pluriel inchoatif en [(ə)s] ou [(ə)ʃ] . Dans tous ces parlers, la distinction des conjugaisons 1A et 1B a également été abandonnée. L’étendue géolinguistique de cet infixe n’est pas la même dans toutes les conjugaisons: pour l’imparfait d’«être» (carte n° 52420) et d’«avoir» (carte n° 52430) cette zone inclut aussi le parler de Fully; pour «tenir» (carte n° 52442), elle se réduit aux parlers d’Isérables, Nendaz et Hérémence, pour «mettre» (carte n° 52445), on retrouve les parlers de Chamoson, Conthey et Chalais. L’étendue maximale du phénomène se trouve à la 2^e personne du pluriel des verbes en -āre. Il n’est pas exclu que ce morphème, d’origine analogique, ait pu servir à donner du corps à des formes qui avaient perdu le [v] étymologique (< -b- intervocalique) de l’imparfait latin. Dans tous les parlers concernés, le morphème [(ə)s]/[(ə)ʃ] est atone; l’accent tonique tombe sur la désinence.

• Le parler de Miège occupe une place à part avec son morphème imparfait [it] qui apparaît dans de nombreux paradigmes aux 1^res et 2^es personnes du pluriel (cf. les cartes n° 52430, 52442, 52445, 52520, 52530) et dont l’origine, à notre connaissance, n’est pas élucidée. Comme les formes [(ə)s]/[(ə)ʃ], le morphème [it] est atone.

• Quant aux désinences de la 1pl de l’imparfait, elles sont de la même nature que celles de l’indicatif présent (cf. p.ex. les cartes n° 51470 et 51480). Dans de nombreux parlers et surtout dans ceux qui possèdent une désinence monosyllabique, une répartition différente des allomorphes permet cependant de distinguer le présent de l’imparfait: [ˈẽ, ˈɛŋ, ˈŋ] (présent) contre [ˈ, 'ŋ] (imparfait) à Évolène, [ˈ, ˈẽ, ˈeŋ] (présent) contre [ˈan, ˈŋ, ˈm] (imparfait) à Montana, etc.