Carte n° 31010: «moi». Le pronom personnel tonique de la 1^re personne singulier, sujet et régime

Corpus

La carte n° 31010 a été établie sur la base de deux énoncés du questionnaire commun («Mon mari/ma femme et moi, nous sommes nés en Valais» et «Ma fille et moi, nous nous sommes assis(es) dans l’herbe») ainsi que de quatre énoncés du questionnaire féminin («Mon cousin et moi, nous tenions les comptes de la bourgeoisie», «Les chaussettes, c’est moi qui les ai tricotées», «Est-ce que tu vas te souvenir de moi?», «Je me demande si mon parrain se souvient encore de moi»). Parmi ces exemples dont la redondance a été voulue, quatre contiennent le pronom personnel tonique en fonction de sujet (ou attribut du sujet), deux après préposition^[1]. À cela s’ajoutent de très nombreuses attestations spontanées, en particulier des mises en relief du sujet parlant («moi je») et des tournures possessives («l’homme à moi» ‘mon mari’; cf. les cartes n° 23010-23100). Le corpus complet comprend 404 occurrences.

Relevés antérieurs

Le pronom personnel tonique de la 1^re personne singulier est documenté par sept cartes de l’ALF dont quatre concernent la fonction sujet ou attribut du sujet (cartes n° 12 «moi, je ne les aide pas», 1295 «moi je me tiens (ici)», 1387 «(tu es) aussi vieux que moi», 1759 «et moi aussi») et trois un emploi après préposition (cartes n° 832 «à moi-même», 863 «un vieil ami à moi», 864 «avec moi»). La forme n’a pas été relevée par les TP.

Toutes les cartes de l’ALF consacrées aux formes du sujet illustrent parfaitement la structuration de l’espace valaisan: formes du type y remontant à lat. ego dans les parlers orientaux, formes du type m remontant à lat. mē dans les parlers du Chablais représentés par le pt. 968 St-Maurice, avec les parlers de l’Entremont (pt. 976 et 977) qui prennent une position intermédiaire; cf. l’analyse ci-dessous. Les cartes consacrées aux emplois après préposition ne présentent aucune variation, avec l’emploi de m (et allophones) partout.

	ALF carte n° 1295 «moi je me tiens (ici)»
	ALF carte n° 1387 «(tu es) aussi vieux que moi»

Cartographie, analyse

L’espace valaisan comprend essentiellement deux types de parlers.

– Tous les parlers du Valais central et oriental maintiennent une distinction casuelle entre

• un pronom tonique [jɔ] (et allophones, < lat. ego), sujet et attribut du sujet,
• un pronom tonique [m]  (et allophones, < lat. mē), régime, essentiellement après prépo­sition.

C’est un type de système bicasuel analogue à celui que l’on trouve également en italien standard et en espagnol^[2].

Les parlers de ce groupe se scindent encore en deux par leur manière de dire «c’est moi»:

• [ʃi jɔ]  ‘suis je’ à Arbaz, Évolène, Lourtier, Miège, Nendaz et St-Jean,
• [e jɔ, l ɛ jʏ] , etc. ‘c’est je’ à Chamoson, Conthey, Fully, Hérémence, Isérables, Lens, Les Marécottes, Liddes, Orsières.

– Les parlers du Chablais, de la Haute-Savoie voisine et de la Vallée d’Aoste, en revanche, ont abandonné l’opposition casuelle en généralisant à tous les cas l’ancienne forme du pronom régime ([m] et allophones ), à l’instar de ce qui s’est passé dans l’histoire du français (cf. Marchello-Nizia 1979: 230-42)^[3].

– À cela s’ajoutent certains parlers qui, en principe, distinguent encore le pronom sujet [jɔ] du pronom régime [m], mais dans lesquels [m] commence à s’infiltrer dans la fonction du sujet. Ainsi, on observe une alternance entre [jɔ] et [mɛ] dans les fonctions de sujet ou d’attribut du sujet à Chamoson, Fully, Liddes, Lourtier et (exceptionnellement) à Savièse. Les attestations disponibles ne sont cependant pas assez nombreuses pour permettre d’identifier une voie de pénétration privilégiée de [m] dans la fonction du sujet. Tout au plus, un certain «soup­çon» pèse sur la fonction du sujet «coordonné» (dans les tournures du type «ma femme et moi», «ma fille et moi»), comme le montrent les exemples suivants de Chamoson:

– sujet unique:

mɛ jɔ ɐ dœʏʒ ˈœʁə b dʁˈmə (ChamosonM)
Ben^[4] moi à douze heures ben je dors.

– sujet «coordonné»:

a fn e mœ m - s tʃy d næ  vɑlˈɑɛ (ChamosonM)
Ma femme et moi ben .. nous sommes tous deux nés en Valais.

Des exemples analogues se trouvent dans les réponses de Fully et de Lourtier. En revanche, dans les cinq parlers mentionnés, c’est tou­jours [jɔ] qui est utilisé comme attribut du sujetː

– attribut du sujet:

lɛ tssˈ l ɛ j kəː lː le tʁikɔ- to (ChamosonF)
Les chaussettes c’est moi que .. j’ .. j’ai trico..té.

Il est probablement significatif que dans des parlers qui ont maintenu la tournure [ʃi jɔ] ‘suis je’ pour ‘c’est moi’, aucun emploi de [mɛ] pour ‘je’ n’a été relevé.

Dans un seul parler, c’est l’évolution inverse qui semble se produire: dans une occurrence recueillie à Conthey, c’est la forme du pronom sujet [jɔ] qui s’est introduite dans la fonction «régime», après préposition (à côté de la forme [mɛ] atten­due):

no mə dəmˈŋdə ʃe mõ parˈ ʃə ʃoˈ də jɔ (ContheyF)
Je me demande si mon parrain se souvient de moi.

va t tə ʃoœnˈi də mɛ
Vas-tu te souvenir de moi?

Ce parler se rapprocherait ainsi de solution qui s’est imposée dans la majorité des parlers oc­ci­tans (cf. Ronjat 3, §497), où l’opposition casuelle s’est neutralisée au profit de l’ancien pronom sujet. Il pourrait cependant aussi s’agir d’un lapsus isolé: les formes du pronom tonique de la deuxième personne (carte n° 32010) montrent la répartition régulière et attendue: [to] (sujet), [tɛ] (régime).