Carte n° 51175: Verbes irréguliers: «je suis»: les timbres de la voyelle tonique

⇒ Pour les généralités s’appliquant à toutes les cartes consacrées à la morphologie de la 1^re personne singulier de l’indicatif présent (cartes n° 51110 à 51190), voir la fin du commentaire.

Corpus

La 1^re personne singulier de l’indicatif présent du verbe «être» était prévue dans neuf énoncés du questionnaire commun. Grâce aux réponses spontanées supplémentaires, le nombre de formes recueillies a pratiquement doublé: la carte a été établie sur la base de 465 énoncés qui contiennent la forme «je suis» (18 formes en moyenne pour chaque parler).

Relevés antérieurs

Dans la plupart les points d’enquête communs aux TP (col. 384 «je me suis fait (une entorse)» et 403 «je suis guéri») et à l’ALAVAL (Orsières, Fully, Conthey, Nendaz, Savièse, Miège, Évolène) nos matériaux attestent encore les mêmes formes que celles recueillies au début du XX^e siècle. Dans nos matériaux, la variation interne à chaque parler est cependant beaucoup plus élevée. Les cartes ALF n° 500 «je me suis (assis sous un arbre)» et 803 «je suis malade» n’apportent pas d’informations supplé­mentaires.

TP col. 384 «je me suis fait (une entorse)» et 403 «je suis guéri»

Cartographie

La carte cherche à représenter la variation caractéristique de la voyelle tonique de la forme verbale dans chaque parler. Dans tous les parlers étudiés, cette voyelle occupe une zone continue dont nous indiquons l’étendue par rapport au lieu d’articulation des voyelles symbolisé dans le trapèze vocalique.

La nature de la consonne initiale ([ʃ, ɕ, s] selon les parlers) est indiquée dans le tableau des formes; cette variation phonétique se retrouve sur toutes les cartes qui présentent des formes à s- initial étymologique (p.ex. les cartes n° 23030, 33210, 51685).

Analyse

• Dans 4 parlers du Centre et de l’Est de la région étudiée (Chamoson, Isérables, St-Jean, Torgnon), la zone de variation est relativement petite: les réalisations individuelles se font au moyen des voyelles les plus fermées ([i/ɪ], plus rarement [y/ʏ]). Nous n’excluons pourtant pas qu’un corpus plus étendu encore pourrait faire apparaître une zone de variation plus grande dans ces parlers.
  Signalons que plusieurs attestations de St-Jean font apparaître une diphtongue durcie [ʃiɡ, ɕik], etc. (pour cette notion, cf. le commentaire de la carte n° 41310, note 1), comme dans les formes recueillies par les TP dans le village anniviard voisin de Grimentz.
• Dans 5 parlers (Nendaz, Hérémence, Évolène, Orsières, Les Marécottes), la zone de variation attestée va des voyelles les plus fermées [ʃi, ʃy] jusqu’aux voyelles mi-fermées [ʃe, ʃø/sø].
• Dans 8 parlers (Savièse, Arbaz, Lens, Montana, Miège, Chalais, Lourtier et Bionaz), on rencontre une zone de variation maximale, qui va de [ʃi, ʃy] jusqu’à [ʃɛ, ʃœ], une fois même (à Conthey) jusqu’à [ʃæ, ʃa].
• Dans l’ouest du domaine, la zone de variation se rétrécit de nouveau, et surtout, les formes se réalisent uniquement au moyen des voyelles les plus ouvertes: dans 3 parlers (Vouvry, La Chapelle-d’Abondance et Sixt) entre [sɛ, sœ] et [sa, sæ],
• et  dans 3 parlers (Val-d’Illiez, Troistorrents et Fully) uniquement entre [sa] et [sɑ].

À l’intérieur des différentes zones esquissées pour chaque parler, toutes les réalisations individuelles doivent être considérées comme «correctes» ou «grammaticales». La variation semble entièrement libre; nous n’avons identifié aucun facteur de nature fonctionnelle, contextuelle (assimilations, harmonisations vocaliques, p.ex.), sociolinguistique, conversationnelle ou stylistique qui pourrait expliquer l’emploi de certaines formes.

Généralités concernant toutes les formes verbales à la 1^re personne singulier de l’indicatif présent (cartes n° 51110 à 51190)

Dans les descriptions «classiques» du francoprovençal (cf. p.ex. Martin 1990: 682), la morphologie verbale est décrite comme étant caractérisée par la conservation de la désinence -o de la 1^re conjugaison latine à la 1^re personne singulier de l'indicatif présent (lat. canto > fp. [tsˈtɔ]), étendue ensuite à toutes les conjugaisons et à d’autres temps verbaux. La 1^re personne se distinguerait ainsi des 2^e et 3^e personnes du singulier selon le schéma «1^re pers. ≠ 2^e pers. = 3^e pers.». Pour un verbe irrégulier tel que «venir», la conjugaison «canonique» serait donc du type 1sg [vˈəɲɔ] ≠ 2sg [v] = 3sg [v] ‘je viens ≠ tu viens = il vient’. La forme caractéristique du verbe à la 1^re personne pourrait ainsi contribuer à expliquer la nature facultative du clitique sujet correspondant dans un grand nombre de parlers valaisans (cf. Marzys 1964: 22 et nos cartes n° 31021 et 31031). Dans nos matériaux, cette question est abordée pour le paradigme du verbe «voir» aux trois premières personnes du singulier (cartes n° 51190, 51220, 51320) ainsi que pour le paradigme du subjonctif présent (cartes n° 62110, 62210 et 62310).

Dans les parlers de notre réseau d’enquêtes, la situation réelle est cependant bien plus complexe, raison pour laquelle nous l’étudions ici pour huit verbes à la 1^re personne du singulier: trois verbes issus de la 1^re conjugaison latine en -are (cartes n° 51110, 51120, 51130), un verbe de la 4^e conjugaison latine en -īre (cartes n° 51140 et 51141) et huit verbes irréguliers (cartes n° 51150 à 51190). Nous y abordons d’une part la nature de la désinence qui n’est pas toujours [ɔ] (ou une voyelle vélaire proche de [ɔ]: [ʊ, , o, , ]). Relativement souvent, elle se centralise ou se palatalise en [ʏ, ø, œ, ə], voire même en [e, ɛ] ou s’amuït complètement. D’autre part, nous y examinons une éventuelle corrélation entre la nature de la désinence, la forme morphologiquement marquée ou non du radical verbal des verbes irréguliers et la présence du clitique sujet.

Pour garantir une bonne lisibilité des cartes, lorsque cela s’avère nécessaire, nous scindons l’information en deux et la présentons sur deux cartes, d’une part pour les formes du radical verbal, et d’autre part pour les formes de la désinence et l’emploi des clitiques sujets.