Carte n° 21010: La morphosyntaxe de l’article défini: les formes préconsonantiques du féminin singulier

Généralités

En francoprovençal comme dans toutes les langues romanes voisines, l’article défini a les mêmes bases étymologiques que le pronom objet direct de la 3^e personne (< lat. illum, illam, illos, illas). Néanmoins, comme le montre la comparaison des cartes correspondantes, les formes du pronom ont développé certaines particularités qui n’apparaissent pas pour l’article défini; quant à l’article défini, les parlers de l’Est valaisan présentent une distinction casuelle specifique, très différente de celle du pronom.

Articles définis et pronoms régimes de la 3^e personne: cartes correspondantes.

Pour les généralités concernant le maintien d’un système à deux cas exprimé par les formes de l’article défini du singulier dans les parlers de l’Est valaisan, voir le commentaire de la carte de synthèse, n° 21013.

Corpus

Nos matériaux comprennent plus de 7000 occurrences de l’article défini féminin singulier préconsonantique, plus de 280 occurrences pour chaque parler; tous les cas de figure (phénomènes de polymorphisme, système bicasuel dans les parlers de l’Est valaisan) sont solidement documentés. Pour chaque parler, la carte (avec le tableau des formes et la liste des attestations) fournit un exemple pour chaque forme et pour chaque fonction observées.

Relevés antérieurs

Les TP présentent 15 colonnes de données complètes pour l’article féminin singulier préconsonantique employé devant le sujet de la phrase (col. 19, 25, 65, 83, 145, 149, 151, 156, 185, 241, 251, 297, 352, 356, 435), ainsi que 12 colonnes (col. 31, 92, 95, 99, 103, 170, 223, 376, 382. 431, 465) pour son emploi avec un objet direct. Pour tous les parlers de l’Est valaisan, à partir de Lourtier sur la rive gauche du Rhône, et à partir de Savièse sur la rive droite (8 parlers sur 15 points d’enquête valaisans), le système bicasuel de l’article défini féminin apparaît comme parfaitement intact. Voici deux exemples représentatifs:

TP col. 65: article féminin singulier sujet «la rive (est étroite)»	TP col. 31: article féminin singulier objet «(on voit) la lune»

Cartographie, analyse

Notre enquête précise le constat des TP et l’actualise, suite aux évolutions intervenues au cours du XX^e siècle. Elle confirme le fait qu’en principe, l’espace valaisan est scindé en deux, avec les parlers orientaux – jusqu’à une ligne qui englobe les parlers de Lourtier et d’Isérables sur la rive gauche du Rhône, et de Savièse sur la rive droite – qui possèdent un système bicasuel de l’article défini, et les parlers occidentaux (ainsi que nos points d’enquête valdôtains et savoyards) qui ne connaissent pas cette distinction.

Les formes du cas sujet féminin, dans les parlers orientaux, coïncident avec celles du cas sujet masculin (cf. la carte n° 21012). Précédées ou non d’un [l] qui peut s’amuïr même dans des parlers qui maintiennent en général le l- prévocalique, elles présentent un important polymorphisme: globalement, le cas sujet est caractérisé par une voyelle qui se situe dans une vaste zone du trapèze vocalique, entre [i], [y], [ə] et [ɛ]^[1]. Les formes du régime, également précédées ou non d’un [l], se situent dans la zone située entre [æ], [ɐ] et [ɒ]. Malgré la diversité et la dispersion des formes, la distinction morphologique des deux cas est donc parfaitement assurée.

La zone de réalisation de l’article défini féminin singulier (système bicasuel)

À peu d’exceptions près, dans les parlers occidentaux qui ont abandonné la déclinaison bicasuelle de l’article défini féminin singulier (ou qui, peut-être, ne l’ont jamais développée), les seules formes qui apparaissent sont celles du type en [a].

En ce qui concerne la vitalité du système bicasuel dans la zone orientale, huit parlers ayant fait l’objet de notre enquête montrent une distinction parfaitement vivante et fonctionnelle des deux cas. Dans quatre autres parlers, on observe en revanche les signes d’une confusion des deux cas qui est en train de se produire^[2]. Une comparaison avec les données des TP permet de conclure que cette évolution a dû s’amorcer au cours du XX^e siècle.

• L’informatrice de Miège maintient l’opposition casuelle sans aucune exception. Les réponses du témoin masculin montrent une confusion avancée des deux cas, avec des formes du cas sujet qui apparaissent pour le régime et l’inverse (formes du cas régime pour le sujet).
• À St-Jean, on observe chez les deux témoins l’apparition sporadique de la forme du régime [la] ou [a] dans des énoncés où on attendrait une forme du sujet.
• Chez l’informatrice de Lens, on relève une intrusion sporadique de la forme du régime dans la fonction du sujet. Le témoin masculin montre une confusion avancée des deux cas, avec des formes du sujet qui apparaissent pour le régime et l’inverse.
• L’informatrice de Lourtier a complètement cessé de distinguer les deux cas; elle n’utilise plus que la forme du régime [a] dans toutes les positions. Quant au témoin masculin, il montre une très bonne conservation du système bicasuel, avec un léger début de confusion, avec une occurrence isolée de la forme du sujet [ɛ] en fonction de régime.
• À Chamoson, à l’ouest de la ligne de séparation esquissée, on observe la présence simultanée, mais non fonctionnelle, de formes qui distinguent les deux cas dans les parlers orientaux. Vraisemblablement, le système bicasuel y a donc disparu il n’y a pas très longtemps: [ɛ] (ancien sujet) et [ɑ] (ancien régime) et leurs allophones y servent en effet à désigner aussi bien des sujets que des objets grammaticaux.
• L’apparition isolée d’un [lə] à la Chapelle d’Abondance ([lə vəzˈɛnæ] ‘la voisine’) pourrait être un indice allant dans le même sens, à moins qu’il ne s’agisse d’un simple lapsus. En tout cas, comme le montre la carte n° 21012, la présence de morphèmes caractérisant à l’origine le cas sujet est encore courante dans les parlers occidentaux pour les formes du masculin.

Pour les formes prévocaliques de l’article défini féminin qui n’ont pas été cartographiées, faute de matériaux suffisants pour l’ensemble de la région étudiée, cf. le commentaire de la carte n° 33200, consacrée aux formes du pronom objet féminin «la».