Carte n° 71330: La question partielle «où» («chez qui»): forme du «où» et ordre des mots

Corpus

Deux énoncés du questionnaire commun «Où / Chez qui est-ce que tu achètes le beurre?» et «Vous-même, vous achetez le savon où?» étaient déstinés à étudier la syntaxe de l’interrogative au singulier et au pluriel (cf. les cartes n° 32030 et 35050), l’ordre des mots dans la question partielle (carte n° 71330, ici) et accessoirement la morphologie de l’indicatif présent à la 2^e personne du pluriel (carte n° 51510). Sur 100 attestations prévues (deux par témoin), 99 ont effectivement été enregistrées: les témoins de LiddesF et de St-JeanM n’ont pas formulé l’énoncé au pluriel; celui de La Chapelle-d’AbondanceM a fourni un exemple supplémentaire.

Le premier énoncé laissait une certaine latitude aux informateurs quant à l’élément interrogatif utilisé («Où / Chez qui est-ce que tu achètes …» ); l’option «chez qui» a été utilisée dans 18 sur 50 réponses. Certains ont utilisé le pluriel (forme de politesse) à la place du singulier. Ces facteurs sont sans conséquence majeure pour la question abordée ici (cf. pourtant plus bas la question de la place de «chez qui» dans l’énoncé). Le corpus disponible ne permet pas d’identifier des différences significatives entre les énoncés au singulier et au pluriel, à une exception près: alors que le «tu» est toujours employé, le «vous» peut être omis dans un petit nombre d’occurrences.

Cartographie, analyse

Par rapport à la question partielle avec «que» (carte n° 71320) qui porte sur l’objet direct de la phrase et qui comporte ainsi les combinaisons de trois éléments (sujet, verbe, élément interrogatif), la description se complique ici par la présence d’un quatrième élément (sujet , verbe , objet direct , élément interrogatif ). La carte n° 71330 documente l’ordre relatif des quatre composantes (ou trois, lorsque le clitique sujet n’est pas exprimé à la 2^e personne du pluriel). Elle indique aussi la présence d’une éventuelle périphrase interrogative () et distingue les deux types lexicaux utilisés pour dire «où»: [jo], etc. () dans les parlers occidentaux et en Vallée d’Aoste, [(d)ˈawə], etc. () dans les parlers orientaux (pour la morphologie de «qui» interrogatif, cf. la carte n° 25100).

Sans pouvoir être exhaustive, la carte donne un aperçu des nombreuses possibilités combinatoires qui existent dans la formulation de la question partielle, à l’instar de ce qui s’observe en français parlé ordinaire (cf. Gadet 1989: 138): 8 séquences différentes sont effectivement attestées. Les matériaux disponibles ne permettent d’identifier aucune répartition géolinguistique significative des différents types:

1. : élément interrogatif - clitique sujet - verbe - complément d’objet
2. : élément interrogatif + conjonction/périphrase interrogative - clitique sujet - verbe - complément d’objet
3. : élément interrogatif - clitique sujet - verbe - clitique sujet - complément d’objet (réduplication; inversion complexe)
4. : élément interrogatif - verbe - clitique sujet - complément d’objet
5. : élément interrogatif - (clitique sujet zéro) - verbe - complément d’objet
6. : clitique sujet - verbe - élément interrogatif - complément d’objet
7. : clitique sujet - verbe - complément d’objet - élément interrogatif
8. : (clitique sujet zéro) - verbe - complément d’objet - élément interrogatif

Dans plusieurs parlers individuels, sur les quatre énoncés enregistrés, on observe jusqu’à quatre séquences différentes. Dans nos matériaux, la fréquence des différentes séquences dans les parlers individuels est ainsi trop basse pour permettre d’identifier un éventuel type syntaxique dominant, et un nombre d’attestations plus élevé aurait certainement permis de documenter une variation encore plus importante.

Les principaux facteurs de variation observables concernent l’emplacement de l’élément interrogatif dans la phrase, ainsi que l’ordre relatif du sujet par rapport au verbe (inversion ou non)

• L’élément interrogatif («où») est susceptible d’occuper trois places au sein de l’énoncé. Il peut être placé en tête de phrase «Où tu achètes le beurre?», après le verbe (entre le verbe et l’objet direct) «Tu achètes où le beurre?» et en position finale «Tu achètes le beurre où?». Les 18 attestations de «chez qui» en revanche se trouvent toujours en possition initiale. La position initiale est ainsi nettement la plus fréquente (73 occurrences). La position postverbale apparaît dans 12 cas, la position finale dans 14. Une influence significative sur l’ordre des mots de l’énoncé du questionnaire «Vous-même, vous achetez le savon où?» qui plaçait l’élément interrogatif en position finale, si elle existe, semble donc négligeable.
• L’élément interrogatif («où» ou «chez qui») placé en tête de phrase peut être suivi d’un énoncé avec ou sans inversion («Où / Chez qui achètes-tu …» , 21 occurrences, «Où / Chez qui tu achètes …» , 32 occurrences), voire de la réduplication du clitique sujet («Où / Chez qui tu achètes-tu …» , 6 occurrences; pour ce phénomène d’inversion complexe, cf. les cartes n° 32030 et 35050). Lorsque l’élément interrogatif est placé entre le verbe et l’objet direct ou en position finale, l’inversion verbe - sujet semble bloquée.
• L’élément interrogatif suivi d’un «que» ou d’une périphrase interrogative (, 14 occurrences) se place toujours en tête de phrase et induit toujours la séquence .
• Lorsque le «vous» sujet est omis (5 attestations dans nos matériaux, à Arbaz, Bionaz, Conthey, Évolène), l’élément interrogatif peut se trouver en début ou en fin d’énoncé.
• L’objet direct se trouve toujours en dernière ou avant-dernière position de la phrase (avant-dernière lorsque l’élément interrogatif occupe la position finale).