Morphologie de l’imparfait

1.

La carte n° 52130 documente la vitalité du type héréditaire autochtone en -r- [ˈerɔ, ˈɪrɔ], etc. (< lat. eram, avec changement analogique de la désinence) dans l’ensemble des parlers valaisans. La voyelle tonique du radical se réalise en général dans une zone de voyelles antérieures [i - ʏ - e - ɛ]; parfois, elle est diphtonguée ([ˈɛɪr] à Conthey, [eirɔ] à Lens, etc.). Dans certains parlers, les formes en [ɛr]- et [ir]-, etc. coexistent et semblent interchangeables; nous représentons toutes les formes correspondantes par le même symbole.

Dans deux parlers (Chamoson et Troistorrents), la voyelle tonique du radical s’est ouverte à [a]. Dans d’autres formes du paradigme, cette voyelle apparaît également dans d’autres parlers (cartes n° 52330, 52420, 52610).

2.

Dans plusieurs parlers de l’Est valaisan (Chalais, Évolène, Lourtier, Miège, Savièse), on observe l’existence d’un radical en [ɛ-, e-, i-, ʏ-] dans lequel le [r] semble s’être amuï. Dans nos matériaux, celui-ci coexiste partout avec la forme pleine en -r-, à l’exception de Savièse, où il est seul attesté. Les formes sans [r] se retrouvent en Vallée d’Aoste.

3.

Dans plusieurs parlers du district de Sierre (Chalais, Miège, St-Jean, cf. les cartes n° 52330, 52420, 52610), le type [ɪr]- coexiste avec une forme analogique [ʃir]-, qui a agglutiné un [ʃ] initial provenant d’autres formes du paradigme d’«être» (cf. [ʃi] ‘je suis’, [ʃ] ‘nous sommes’, [ʃ] ‘ils/elles sont’).

4.

Plusieurs parlers (Chamoson, Fully, Bionaz) ont agglutiné un [l] initial d’origine analogique à la base verbale, comme à d’autres verbes à initiale vocalique. À Orsières et dans les deux points d’enquête du Val d’Illiez, ce [l] semble en revanche avoir acquis un statut de véritable clitique sujet (cf. les analyses proposées aux cartes n° 31030 et 51180).

5.

Selon l’explication avancée par GPSR 6: 904a, les formes sporadiques du type [j'iro], etc. du Bas-Valais semblent être un «sous-produit de i- initial favorisé par un accent syntactique faible, mais les parallèles manquent». Dans nos propres matériaux, cette analyse pourrait éventuellement s’appliquer à la forme [j ɪʁɔ] de Val-d’Illiez, mais dans le parler voisin de Troistorrents, le même [j] est incontestablement attesté comme clitique sujet prévocalique de la 1^re personne du singulier (cf. carte n° 31030), et le [j] n’apparaît à aucune autre forme du paradigme (cartes n° 52330, 52420, 52610). De même, le [j] des formes [j iro] (Isérables), [j ˈʁə] (Les Marécottes) et [j ˈrə] (Liddes) représente sans doute le clitique sujet de la 1^re personne du singulier. Dans ces trois derniers parlers, le [j] est en effet une forme fréquente voire même dominante du «je» en position prévocalique (cf. carte n° 31030).

6.

Des formes en -t- correspondant au type français «étais» n’apparaissent qu’à Vouvry ([etø]), où elles continuent une zone analogue dans les parlers vaudois et savoyards, ainsi qu’à Sixt. À Vouvry, [etø] reste cependant en concurrence avec la forme héréditaire [ˈɛro].

7.

Les formes de Torgnon nécessiteraient une analyse à part. On y trouve un imparfait formé de manière analogique sur une base en  [s], avec un morphème  [iv] également d’origine analogique (cf. Hubschmied 1914: 12-13 et 94), ainsi que des formes en [si/ʃi] ou [se], avec chute du [r] étymologique du lat. eram (ou du [v] de [sˈɪvɔ]).

Morphèmes de la 1^re personne du singulier

8.

Quel que soit le type de radical mis en œuvre dans les parlers individuels, les désinences ne présentent aucune particularité par rapport aux observations faites pour la 1^re personne du singulier des autres temps verbaux (cf. la carte n° 51110): les formes en -[o], caractéristiques pour la 1^re personne du singulier, sont bien présentes dans la majorité des parlers, à côté des formes qui présentent une voyelle affaiblie (> [ɛ, , œ, ø, ə]). Dans les parlers situés au sud et à l’ouest de Martigny, la désinence peut s’amuïr complètement.

9.

Le tableau des formes attestées permet de constater que le clitique sujet est d’un emploi plutôt rare; il manque complètement dans nos attestations pour les parlers de l’Est valaisan. Nos matériaux ne le montrent que pour Conthey (avec son [n] caractéristique pour la 1^re personne du singulier), et – souvent facultativement – pour la zone qui comprend la région de Martigny (Fully, Isérables, Lourtier, Orsières, Les Marécottes) et les deux parlers du Val d’Illiez. À cela s’ajoutent, avec le [d] caractéristique de la zone savoyarde voisine, La Chapelle-d’Abondance et Sixt.