Carte n° 22200: Comparaison et négation: la concurrence entre ˹magis˺ et ˹plus˺

Même si la comparaison est une question de morphologie, l’essentiel de la carte est consacré à un phénomène de nature lexicale. On sait que les langues romanes ont fait des choix divergents parmi les deux adverbes latins de la comparaison, magis et plus, pour remplacer les comparatifs/superlatifs synthétiques latins (maior, maximus, etc.). La Romania «extérieure» a préféré la formation avec magis (> roum. mai, ptg. mais, esp. mas, cat. més, gasc. mei), alors que la Romania «intérieure» a préféré plus (> it. più, rtr. pli/plü, frç. plus). En occitan (languedocien, auvergnat, limousin, provençal), les deux types étymologiques sont en concurrence.

En francoprovençal, en Suisse romande, d’après le témoignage des TP (col. 373 «(j’en ai) plus que toi»), au début du XX^e siècle le type magis dominait très nettement dans les parlers vaudois, valaisans, genevois et fribourgois, alors que Neuchâtel (à l’exception du parler de Montalchez) avait adopté plus. Selon les notes des éditeurs, ˹magis˺ était cependant en concurrence avec ˹plus˺ dans 3 parlers valaisans sur 15 et dans d’autres parlers aussi. La carte ALF n° 1041 «(je suis malade,) plus que toi» montre l’emploi de m ou m dans tous les points d’enquête valaisans.

Nos propres matériaux documentent une pénétration accrue de ˹plus˺  dans les parlers valaisans. Historiquement, ceux-ci ont pourtant dû appartenir au type ˹magis˺ , comme le montre le fait que dans la tournure négative «ne plus», le type [pɑmi] < *pas magis domine dans tous les parlers; l’emploi négatif de ˹plus˺ est très rare.

Selon nos matériaux, ˹plus˺ est statistiquement dominant dans son emploi positif dans 5 parlers valaisans sur 21, ainsi que dans les parlers savoyards et valdôtains de notre corpus. Il n’est cependant pas exclu que dans certains cas, la formulation du questionnaire en français ait pu favoriser l’apparition du type ˹plus˺ dans les réponses obtenues. À Troistorrents et à Torgnon, l’emploi positif de ˹magis˺ n’est plus attesté. Dans certains parlers, l'introduction de ˹plus˺ semble cependant ancien, comme le montre l’adaptation phonétique des formes (palatalisation de pl- > [pj, kj]) dans des réponses obtenues à Chamoson, Fully, Lens, Lourtier, Miège, etc. ˹magis˺ règne encore sans partage à Arbaz, Chalais, Conthey, Isérables et Nendaz. Le centre de l’espace dialectal valaisan semble ainsi constituer la principale zone de résistance au type ˹plus˺.

Dans plusieurs parlers, l’alternance entre les deux types peut se produire au sein d’un même énoncé:

œ b ʒjˈystɑmˈn dɛlˈe ʁˈuːnɔ n dødʒˈã j e bokˈu pjø ʀəvˈɛːr - ɛ nʊ n  mi də ʃɔlˈ də ʃtɪ la (MontanaF)
Eh bien justement de l’autre côté du Rhône, nous disions c’est beaucoup plus (au) revers .. et nous nous avons plus de soleil de ce côté-ci.

b lə tʁavˈo di f l əʁ  mwɛ py penˈiblə kə se di ʁəkˈɔ paskˈɛ j n a mi - ɐəkˈɔ j n a pu (OrsièresM)
Ben le travail des foins il était un peu plus pénible que celui des regains parce qu’il y en a plus .. regain il y en a peu.

Nos matériaux ne permettent pas de déterminer si les parlers qui possèdent actuellement les deux types lexicaux ont développé des différences syntaxiques ou sémantiques dans leur emploi.

NB. Notre choix d’écrire la tournure négative [pamˈi] ‘(ne) plus’ en un seul mot est contestable; la tournure [pɑ wˈero meː] ‘guère plus’ à Nendaz montre que les deux éléments peuvent encore rester séparés. Un sondage dans les dictionnaires disponibles pour différents parlers francoprovençaux nous a permis de constater qu’il n’y avait pas la moindre «unité de doctrine», pas le moindre «sentiment linguistique» concordant entre les différents auteurs qui tantôt séparent les deux éléments, tantôt les écrivent en un seul mot. Les deux locutrices natives valdôtaines de notre équipe non plus n’ont montré aucune conviction à ce sujet. La résistance de [pamˈi] – qui semble être devenu une forme figée dans la plupart des parlers – à la pénétration de ˹plus˺ nous a finalement décidés à créer «notre» norme et d’écrire [pami] et ses nombreuses variantes en un seul «mot».