Carte n° 41310: Verbes en -īre: l’infinitif de «dormir»

Corpus

Dans la plupart des parlers valaisans, le verbe «dormir» («aller dormir») s’est substitué au verbe «se coucher»; ce dernier est surtout usité dans des sens figurés (cf. GPSR 4: 367). Plus rarement, on trouve aussi le type «gésir» à la place de «se coucher». Par conséquent, les phrases du questionnaire «Il faut que vous vous couchiez avant minuit» et «Je veux que les enfants se couchent avant neuf heures», formulées en principe pour recueillir des formes du subjonctif présent (cf. les cartes n° 62520 et 62610), ont produit de nombreuses attestations pour l’infinitif «dormir», que nous cartographions ici. Certaines attestations supplémentaires proviennent des énoncés «À minuit je dors» et «Après le repas, je fais la sieste». Lorsque nous avons recueilli plusieurs occurrences chez le même témoin, nous mentionnons un exemple de chaque allomorphe dans le tableau des formes.

Pour les formes manquantes (Chamoson, Évolène, Lens, Torgnon), on trouvera des formes analogues de l’infinitif en -īre (verbes «venir, tenir» et composés) à la carte n° 41320.

Relevés antérieurs

Dans les TP col. 333, «se coucher» est rendu par «dormir» dans 12 points d’enquête valaisans sur 15. Dans les autres parlers francoprovençaux de la Suisse romande, la même solution est nettement plus rare (6 occurrences de «dormir» contre 31 «coucher»). La carte ALF 418 «dormir» n’apporte pas d’informations supplémentaires.

TP col. 333: «(quand vous venez) vous coucher»

Cartographie

Les parlers valaisans présentent 6 types d’infinitifs qui remontent tous au latin dormīre, par différentes évolutions phonétiques :

– formes «de base» du type [drumˈi], avec métathèse du [r]; beaucoup plus rarement sans métathèse [durmˈi].

– formes qui présentent une diphtongaison de la désinence du type [drumˈei];

– formes qui présentent une «diphtongue durcie»¹ en -[i, ik].

À ces trois types de base s’ajoutent les formes dans lesquelles le [m] du radical «dorm-» provoque une nasalisation de la désinence. Cette nasalisation provoque une bipartition systématique des infinitifs de la conjugaison en -īre dans les parlers concernés. Le phénomène a été décrit pour les parlers du Val de Bagnes (Bjerrome 1959: 103-105). warī «guérir», mrī «mourir», korī «courir», etc. s’opposent ainsi à drŏmẽ «dormir», venẽ «venir», frnẽ «finir»²:

– formes nasalisées «de base» du type [drumˈ].

– formes nasalisées diphtonguées du type [drumˈẽ].

– formes nasalisées des diphtongues durcies du type [drumˈŋ].

Une évolution analogue est inconnue pour les verbes en ‑are.

Pour ne pas surcharger la carte, nous n’y avons pas tenu compte de la métathèse du [r] ([drumˈi]/[durmˈi]) – pour cette question, cf. la carte n° 51140 – ni de la qualité de la voyelle du radical, qui peut être [u/ʊ/], [o] ou [ʏ/ə], sans répartition géographique significative (cf. le tableau des formes attestées); parfois, différentes voyelles coexistent dans le même parler.

Analyse

Dans la moitié des parlers documentés (11 sur 21), nos matériaux attestent la seule présence des infinitifs en -[i]. Les formes à diphtongue durcie ([ik], [iŋ]) se trouvent de manière compacte dans la région de Sierre, à Hérémence et à Fully, en partie à côté des formes sans diphtongue durcie. Les formes simplement diphtonguées sont rares. Isérables et Lourtier semblent prolonger une ancienne zone diphtonguante du Valais épiscopal (cf. Fankhauser 1911: 58s., Gerster 1931/32: 32, Keller 1958: 61s.); à Lourtier, c’est la nasalisation qui a conservé l’ancienne diphtongue. La diphtongaison et nasalisation du -i- à Troistorrents et à Val-d’Illiez semble être due à une évolution parallèle, mais indépendante; la nasalisation de la désinence, sous l’influence du -m- final de la base verbale, peut se produire de manière spontanée et facultative dans différents parlers. L’apparition isolée d’un -r final devant voyelle, chez les informateurs d’Hérémence et des Marécottes, est difficile à interpréter.

¹ Dans la recherche francoprovençale traditionnelle, ce phénomène est appelé «apparition d’une consonne parasite» (cf. Lavallaz 1899: 174-183, Fankhauser 1911: 58-60, Jeanjaquet 1930: 45, Keller 1958: 59-65); dans la recherche consacrée au romanche des Grisons, où une évolution analogue est bien attestée (Haute Engadine, Bravuogn, Sursés; cf. Lutta 1923: 88-90, 313, Grisch 1939: 24-28), le même phénomène est appelé «diphtongue durcie» (depuis Gartner 1910: 165-168), ce qui nous semble plus approprié du point de vue de la phonétique historique et permet de mieux comprendre le phénomène observé. Les formes en [i], en [ei] et en [i, ik] s’expliquent en effet toutes à partir d’un -ī- long latin en syllabe libre, qui a dû se diphtonguer en francoprovençal à *[i-i] (à l’instar de ē > [e] et de ō > [o]); c’est cette diphtongue qui s’est ensuite soit simplifiée en [i], soit dissimilée en [ei], soit «durcie» en [ik].

² Dans nos propres matériaux, les verbes en -ir sans radical nasalisant (partir, sortir) présentent généralement des désinences en -i, très rarement en -ik, -ig (deux occurrences, à St-Jean et à Vouvry). Nous n’avons pas jugé utile de cartographier ce constat.