Carte n° 51130: Verbes en -are: «travailler», 1re personne singulier de l’indicatif présent, morphologie de la désinence
⇒ Pour les généralités s’appliquant à toutes les cartes consacrées à la morphologie de la 1re personne singulier de l’indicatif présent (n° 51110 à 51190), voir la fin du commentaire.
Corpus
La carte présente les données provenant de la phrase «Je travaille à l’alpage» du questionnaire commun (témoins féminins et masculins), ainsi que quelques attestations sporadiques supplémentaires de la forme verbale «je travaille». Il n’a pas été possible d’obtenir la forme voulue de tous les témoins: certains ont répondu en utilisant des reformulations telles que «je vais travailler…» ou «j’ai du travail». D’un point de vue lexical, on remarque que 39 réponses sur 46 utilisent le terme traditionnel «montagne» pour nommer l’alpage. Seuls 7 informatrices et informateurs qui par leur activité professionnelle n’ont plus de lien avec l’économie alpestre utilisent le type [alpˈadzɔ] qui est un emprunt au français régional.
Cartographie
La carte se concentre sur le vocalisme de la désinence et contribue à l’étude de l’emploi du clitique sujet de la 1re personne. La carte superpose ainsi deux informations :
– la présence ou l’absence du clitique sujet dans l’énoncé; le trait à gauche du symbole principal indique l’emploi du clitique sujet;
– la nature de la désinence (présence ou absence; qualité de la voyelle).
Pour les évolutions phonétiques qui caractérisent le radical verbal (différents aboutissements du -l- palatalisé: > [ʎ, l, ʟ, j, ð, d], chute du -v- intervocalique dans plusieurs parlers de la région) cf. la carte n° 51420.
Analyse
La voyelle dominante de la désinence de la 1re personne du singulier est [o] ou [ɔ], conformément à son étymologie latine, avec une possible centralisation en [] (16 occurrences).
Les formes en [ø, œ] ou [ə] ne sont pourtant pas rares (11 occurrences). Ces formes à voyelle antériorisée peuvent coexister avec les formes «étymologiques». Leur répartition géolinguistique laisse penser qu’elles se sont développées au centre du domaine, et ont commencé à refouler les formes en [o, ɔ].
Une forme en [] est isolée sur cette carte, mais se retrouve sporadiquement aussi pour d’autres verbes à la 1re personne du singulier (cf. cartes n° 51110, 51120, 51167).
Dans de nombreuses attestations, l’emploi de la désinence vocalique de la 1re personne du singulier est conditionné par le contexte phonique dans la chaîne parlée: la désinence zéro est fréquente, sans être générale (17 occurrences sur 32), devant un mot à initiale vocalique. Les formes à désinence zéro ne sont pas attestées dans les parlers situés dans l’Est du domaine (région de Sierre, Évolène).
L’emploi du clitique sujet semble indépendant du maintien ou non d’une désinence vocalique, même si de cette manière, la distinction morphologique des trois formes de l’indicatif singulier n’est pas toujours garantie. L’emploi du pronom sujet tonique n’est pas non plus un facteur décisif pour le maintien ou la chute du clitique sujet: on trouve aussi bien des formes toniques sans clitique sujet ([j trɑvˈɑʎə, jɔ tʁavˈad] ‘moije travaille’) et des formes «redondantes» avec clitique sujet ([j ɐ tʁɑvˈaj, ʏˈɔ nɔ traˈadœː, jy i tʀavaj], etc. ‘moi je travaille’).
Quant au marquage morphologique de la personne (cf. le tableau en bas de page), tous les cas de figure sont attestés de manière assez équilibrée:
(1) absence de marquage (morphème zéro), (2) marquage simple par une désinence vocalique, (3) marquage simple par un clitique sujet, et (4) marquage double (clitique sujet et désinence vocalique).
Dans un même parler, le marquage morphologique de la personne peut être double (clitique sujet et désinence) ou absent (clitique zéro et désinence zéro). Dans la chaîne parlée, devant voyelle, la désinence vocalique peut s’amuïr sans compensation par un clitique sujet antéposé. Lorsque la désinence est du type [ə], la 1re personne du singulier peut cesser de se distinguer des formes de la 2e et de la 3e personne. Malgré cela, dans la plupart des parlers concernés, la présence du clitique sujet reste facultative.Le corpus disponible ne permet pas de dégager des facteurs qui expliqueraient l’emploi des différentes types formels.
Généralités concernant toutes les formes verbales à la 1re personne singulier de l’indicatif présent (cartes n° 51110 à 51190)
Dans les descriptions «classiques» du francoprovençal (cf. p.ex. Martin 1990: 682), la morphologie verbale est décrite comme étant caractérisée par la conservation de la désinence -o de la 1re conjugaison latine à la 1re personne singulier de l'indicatif présent (lat. canto > fp. [tsˈtɔ]), étendue ensuite à toutes les conjugaisons et à d’autres temps verbaux. La 1re personne se distinguerait ainsi des 2e et 3e personnes du singulier selon le schéma «1re pers. ≠ 2e pers. = 3e pers.». Pour un verbe irrégulier tel que «venir», la conjugaison «canonique» serait donc du type 1sg [vˈəɲɔ] ≠ 2sg [v] = 3sg [v] ‘je viens ≠ tu viens = il vient’. La forme caractéristique du verbe à la 1re personne pourrait ainsi contribuer à expliquer la nature facultative du clitique sujet correspondant dans un grand nombre de parlers valaisans (cf. Marzys 1964: 22 et nos cartes n° 31021 et 31031). Dans nos matériaux, cette question est abordée pour le paradigme du verbe «voir» aux trois premières personnes du singulier (cartes n° 51190, 51220, 51320) ainsi que pour le paradigme du subjonctif présent (cartes n° 62110, 62210 et 62310).
Dans les parlers de notre réseau d’enquêtes, la situation réelle est cependant bien plus complexe, raison pour laquelle nous l’étudions ici pour huit verbes à la 1re personne du singulier: trois verbes issus de la 1re conjugaison latine en -are (cartes n° 51110, 51120, 51130), un verbe de la 4e conjugaison latine en -īre (cartes n° 51140 et 51141) et huit verbes irréguliers (cartes n° 51150 à 51190). Nous y abordons d’une part la nature de la désinence qui n’est pas toujours [ɔ] (ou une voyelle vélaire proche de [ɔ]: [ʊ, , o, , ]). Relativement souvent, elle se centralise ou se palatalise en [ʏ, ø, œ, ə], voire même en [e, ɛ] ou s’amuït complètement. D’autre part, nous y examinons une éventuelle corrélation entre la nature de la désinence, la forme morphologiquement marquée ou non du radical verbal des verbes irréguliers et la présence du clitique sujet.
Pour garantir une bonne lisibilité des cartes, lorsque cela s’avère nécessaire, nous scindons l’information en deux et la présentons sur deux cartes, d’une part pour les formes du radical verbal, et d’autre part pour les formes de la désinence et l’emploi des clitiques sujets.
«je travaille»: la désinence d’un verbe régulier de la 1re conjugaison
[o, , ɔ, ]
[ø, œ, ə]
[]
sans désinence vocalique
présence d’un clitique sujet
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Verbes en -āre: «travailler», 1re personne singulier de l’indicatif présent, morphologie de la désinence
parler de
témoin féminin
témoin masculin
1
Arbaz
trˈɑːlɔ
trˈɑːlə
2
Bionaz
tʀavˈɑʎ
tʀavˈaj
3
Chalais
ɪɔ travˈaʎo
trɑvˈɑʟɔ
4
Chamoson
ɐ tʁɑvˈaj
tʀavˈaj
5
Conthey
nɔ traˈadœː
nʊ trɑˈɑdo
6
Évolène
j travˈajə
jɔ travˈaʎɔ
7
Fully
i tʀavaj
eː trɑvˈɑjə
8
Hérémence
trˈaːlə
tɹɑːl
9
Isérables
ə trɑvˈɑl
j trɑvˈɑl
10
La Chapelle-d’Abondance
-
də travˈaj
11
Lens
travˈaʎɔ
trɒvˈʎø
12
Les Marécottes
tʁavˈɑj
jø tʁɑvˈɑjə
parler de
témoin féminin
témoin masculin
13
Liddes
tɹaʋˈadə
trɑʋˈɑd
14
Lourtier
jʏ tʴɑl
-
15
Miège
jɔ trɑvˈɑʎɔ
œ trɑʋˈɑjɔ
16
Montana
-
trɑvˈɑʎə
17
Nendaz
jø trˈɑːlə
trɑːl
18
Orsières
tʁavˈad
tʁavˈad
19
St-Jean
ə travˈaʟː
jɔ trɑvˈaʟːɔ
20
Savièse
traːl
trɑːl, trˈalø
21
Sixt
-
-
22
Torgnon
dœ tʀavˈɑːʎɔː
tʁɑvˈɑʎɔ
23
Troistorrents
e tʁɑʋˈɑj
tʁɑʋˈɑðɔ
24
Val-d’Illiez
tʁɑʋˈɑʒɔ
tʁɑʋˈɑj
25
Vouvry
tʁɑʋˈɑðɔ
tʁɑʋˈɑðɔ
Marquage morphologique zéro: [tɹˈɑːl , tʁavˈad], etc.
∅ - base - ∅
8
Marquage morphologique simple (a), désinence: [trˈaːlə, tʁɑʋˈɑðɔ], etc.
∅ - base - désinence
12
Marquage morphologique simple (b), clitique sujet: [jʏ tʴˈɑl, ə trɑvˈɑl, də travˈaj], etc.
clitique - base - ∅
9
Marquage morphologique double: [jɔ trɑvˈɑʎɔ, nʊ trɑˈɑdo], etc.
- une transcription du tableau des formes attestées (ou un chiffre des tableaux de fréquences)
- un énoncé de la liste
pour afficher le clip video correspondant.
Si vous découvrez des erreurs dans cette première version publique de l’Atlas, merci de bien vouloir les signaler à: andres.kristol@unine.ch.
Liste des énoncés
1.1 ArbazF:
trˈɑːlɔ ɑ mtˈɑɲə
Je travaille à l’alpage.
1.2 ArbazM:
trˈɑːlə ʏnˈɔ ɑ mtˈaɲə
Je travaille en haut à l’alpage.
2.1 BionazF:
m tʀavˈɑʎ sɪ mtˈaɲə
Moije travaille en haut en alpage.
2.2 BionazM:
mɛ tʀavˈaj ɕɪ mõtˈaɲə
Moije travaille en haut (à l’) alpage.
3.1 ChalaisF:
ɪɔ travˈaʎo ʃʊk ɑː - ʃʊk an ɔrdzəvˈaː d kə vˈeʒo ʃʊk bɑ œɛhˈɔoʋɔ tsɛ pɛʁ le kˈukʷɔ kɔmˈ l ɛː ə pwə wɑlˈa
Je travaille en haut à .. en haut en Orzival* dès que je monte (litt. vais en haut) bah je balaie un peu par là je regarde comment c’est et puis voilà.
*nom d’un alpage de Chalais.
3.2 ChalaisM:
jɔ - lɔ lɑbˈo ɐ l ɑlpˈɑdzɔ - trɑvˈɑʟɔ ɑ l ɑlpˈɑzɔ
Moi .. j’ai le travail à l’alpage .. je travaille à l’alpage.
4.1 ChamosonF:
j ɐ tʁɑvˈajː - inˈo ɑ l alpˈɑːdz
Moi je travaille en .. en haut à l’alpage.
4.2 ChamosonM:
ʋ jɔ tʀavˈaj enˈø a mtˈanɛ
Ben moije travaille en haut à l’alpage.
5.1 ContheyF:
ʏɔ nɔ traˈadœː a mˈõtaɲɛ
Moi je travaille à l’alpage.
5.2 ContheyM:
nʊ trɑˈɑdo inɔ a ɑ mɔŋtˈaᶮᵋ
Je travaille en haut à l’alpage.
6.1 ÉvolèneF:
j travˈajə ʃᵘk ɐ la mntˈæɲə
Je travaille en haut à l’alpage.
6.2 ÉvolèneM:
jɔ travˈaʎɔ ʃuk a la mntˈaɲɪ
Je travaille en haut à l’alpage.
7.1 FullyF:
jy i tʀavaj nˈʊ ɑ l alpˈɑdzə
Moi je travaille en haut à l’alpage.
7.2 FullyM:
eː trɑvˈɑjə enˈo ə - a l alpˈaz enˈɔ ɑ lɑ mʊtˈaɲɐ
Je travaille en haut en euh .. à l’alpage en haut à la montagne.
8.1 HérémenceF:
trˈaːlə œnˈa ɑ la mtˈaɲɛ
Je travaille en haut à l’alpage.
8.2 HérémenceM:
tɹɑːl œnˈɑ ɑ lɑ mtˈaɲə
Je travaille en haut à l’alpage.
9.1 IsérablesF:
ə trɑvˈɑl nˈo muntˈaɲɛ
Je travaille en haut en* alpage.
*Pour l’emploi de la préposition «en» à la place de à + article défini, voir la carte 21020.
9.2 IsérablesM:
j trɑvˈɑl ønˈo mɔntˈaɲɛ
Je travaille en haut en* alpage.
*Pour l’emploi de la préposition «en» à la place de à + article défini, voir la carte 21020.
10.1 La Chapelle-d’AbondanceF:
-
10.2 La Chapelle-d’AbondanceM:
də travˈaj ɐ lɐ mtˈaɲ
Je travaille à l’alpage.
11.1 LensF:
jɔ - travˈaʎɔ ʃu ɑ lɑ muntˈaɲɛ
Moi .. je travaille en haut à l’alpage.
11.2 LensM:
trɒvˈʎø ʃu lɐ muntˈaɲɛ
Je travaille sur l’alpage.
12.1 Les MarécottesF:
tʁavˈɑj amˈ ə la mtˈaɲɪ
Je travaille en haut à l’alpage.
12.2 Les MarécottesM:
jø tʁɑvˈɑjə ʃy l ɑlpˈɑːdz
Je travaille sur l’alpage.
13.1 LiddesF:
tɹaʋˈadə nˈa a la mtˈaɲi
Je travaille en haut à l’alpage.
13.2 LiddesM:
trɑʋˈɑd enˈa la mtˈaɲa
Je travaille en haut l’alpage.
14.1 LourtierF:
jʏ tʴɑl a mtˈaŋɛ
Je travaille à l’alpage.
14.2 LourtierM:
-
15.1 MiègeF:
jɔ trɑvˈɑʎɔ ʃu a la muntˈɑɲ
Je travaille en haut à l’alpage.
15.2 MiègeM:
œ trɑʋˈɑjɔ ʃu a l alpˈazɔ
Je travaille en haut à l’alpage.
16.1 MontanaF:
-
16.2 MontanaM:
j trɑvˈɑʎə ʃup mntˈaɲə
Moije travaille en haut en alpage.
17.1 NendazF:
jø trˈɑːlə enˈaː mtˈaɲa
Je travaille en haut en alpage.
17.2 NendazM:
trɑːl enˈɑ ɑ mtˈaɲɛ
Je travaille en haut à l’alpage.
18.1 OrsièresF:
tʁavˈad enˈaː a la mtˈaɲa
Je travaille en haut à l’alpage.
18.2 OrsièresM:
jɔ tʁavˈad a la mtˈaɲ
Moije travaille à l’alpage.
19.1 St-JeanF:
ə travˈaʟː ʃuk ã la mntˈɑɲɪ
Je travaille en haut en l’alpage.
19.2 St-JeanM:
jɔ trɑvˈaʟːɔ a l alpˈaːdzɔ
Je travaille à l’alpage.
20.1 SavièseF:
traːl ɪnˈɑː ɑ mntˈaɲa
Je travaille en haut à l’alpage.
20.2 SavièseM:
trɑːl ïnˈa ɑ mtˈaɲə
Je travaille en haut à l’alpage.
trˈalø bo ʊ kurtˈi
Je travaille en bas au jardin.
22.1 TorgnonF:
dœ tʀavˈɑːʎɔː ʃyː œ pɛ lɛ mtˈaːɲɛ
Je travaille en haut euh à l’alpage (litt. par les alpages).
22.2 TorgnonM:
mɛ tʁɑvˈɑʎɔ sy mtˈɑɲɛ
Moije travaille en haut à l’alpage (litt. en haut les alpages).
23.1 TroistorrentsF:
e tʁɑʋˈɑj amˈ - p l alpˈadzə - ɐmˈ
Je travaille en haut .. par l’alpage .. en haut.
23.2 TroistorrentsM:
tʁɑʋˈɑðɔ amˈ - a la mtˈaɲə
Je travaille en haut .. à l’alpage.
24.1 Val-d’IlliezF:
tʁɑʋˈɑʒɔ a la mtˈaɲa
Je travaille à l’alpage.
24.2 Val-d’IlliezM:
tʁaʋˈj ɑː - a - tʁɑʋˈɑj amˈ la mtˈaɲə
Je travaille à .. à .. je travaille en haut en l’alpage.