Carte n° 51190: Verbes irréguliers: «voir», 1re personne singulier de l’indicatif présent
⇒ Pour les généralités s’appliquant à toutes les cartes consacrées à la morphologie de la 1re personne singulier de l’indicatif présent (n° 51110 à 51190), voir la fin du commentaire.
Corpus
La 1re personne singulier de l’indicatif présent de «voir» a été relevée au moyen de l’énoncé «Je vois le soleil qui se lève» du questionnaire masculin. Tous les hommes ont répondu. L’informateur de Nendaz utilise cependant le verbe synonyme [avˈeʁ] à la place de [vˈeːʁə] ‘voir’. Quelques attestations supplémentaires se trouvent dans des énoncés spontanés de nos informatrices.
Relevés antérieurs
La forme «je vois» ne se trouve dans aucune enquête géolinguistique antérieure à la nôtre.
Cartographie, analyse
Comme pour les verbes «aller» (carte n° 51150) et «faire» (carte n° 51160), on peut distinguer des formes dont le radical se termine en voyelle et celles qui se terminent en consonne. On observe cependant une sorte de répartition complémentaire des formes entre les paradigmes de «voir» et d’«aller» qui permet d’assurer la distinction entre les deux verbes qui sinon pourraient présenter un danger de confusion homophonique (cf. carte n° 51150): contrairement aux formes d’«aller», les formes de «voir» avec consonne finale sont rares (uniquement à Vouvry et à la Chapelle-d’Abondance, dans nos matériaux).
La carte montre apparemment une répartition des différentes formes relativement nette:
les formes en [i, ʏ] se trouvent essentiellement dans les parlers «épiscopaux» à l’est de Sion,
les formes à voyelle d’aperture moyenne [ve, vɛ, vø] sont surtout présentes dans les parlers du Valais central, sur la rive droite du Rhône, ainsi qu’à Nendaz, Hérémence, Orsières, Les Marécottes et en Vallée d’Aoste,
les formes en [a] sont plus rares; elles caractérisent les parlers du Val d’Illiez et le petit groupe de parlers constitué par Isérables, Lourtier et Liddes.
À cela s’ajoutent certaines voyelles diphtonguées ([vei, vɛɪ, vɛj; vaj, vɑe]), indiquées par un trait au milieu du symbole (, ).
Nous n’accordons cependant pas trop d’importance à la répartition géographique des formes en [e, ɛ] , etc. et en [a] pour laquelle les cartes n° 51190 (1re personne) et 51220 (2e personne) ne concordent pas toujours. Comme le montre la carte de la 3e personne du singulier (carte n° 51320) où les occurrences sont plus nombreuses, les polymorphismes (co-présence de formes en [e, ɛ], etc. et en [a]) dans un même parler) ne sont pas rares dans les parlers du Valais central et occidental.
Pour ne pas surcharger la carte, les indications sur le marquage morphologique de la personne ne sont fournies que dans le tableau des formes. À cet égard, on observe que la désinence de la 1re personne du singulier se maintient souvent (26 occurrences sur 34, 76%). Le clitique sujet est présent dans la moitié des formes observées.
Généralités concernant toutes les formes verbales à la 1re personne singulier de l’indicatif présent (cartes n° 51110 à 51190)
Dans les descriptions «classiques» du francoprovençal (cf. p.ex. Martin 1990: 682), la morphologie verbale est décrite comme étant caractérisée par la conservation de la désinence -o de la 1re conjugaison latine à la 1re personne singulier de l'indicatif présent (lat. canto > fp. [tsˈtɔ]), étendue ensuite à toutes les conjugaisons et à d’autres temps verbaux. La 1re personne se distinguerait ainsi des 2e et 3e personnes du singulier selon le schéma «1re pers. ≠ 2e pers. = 3e pers.». Pour un verbe irrégulier tel que «venir», la conjugaison «canonique» serait donc du type 1sg [vˈəɲɔ] ≠ 2sg [v] = 3sg [v] ‘je viens ≠ tu viens = il vient’. La forme caractéristique du verbe à la 1re personne pourrait ainsi contribuer à expliquer la nature facultative du clitique sujet correspondant dans un grand nombre de parlers valaisans (cf. Marzys 1964: 22 et nos cartes n° 31021 et 31031). Dans nos matériaux, cette question est abordée pour le paradigme du verbe «voir» aux trois premières personnes du singulier (cartes n° 51190, 51220, 51320) ainsi que pour le paradigme du subjonctif présent (cartes n° 62110, 62210 et 62310).
Dans les parlers de notre réseau d’enquêtes, la situation réelle est cependant bien plus complexe, raison pour laquelle nous l’étudions ici pour huit verbes à la 1re personne du singulier: trois verbes issus de la 1re conjugaison latine en -are (cartes n° 51110, 51120, 51130), un verbe de la 4e conjugaison latine en -īre (cartes n° 51140 et 51141) et huit verbes irréguliers (cartes n° 51150 à 51190). Nous y abordons d’une part la nature de la désinence qui n’est pas toujours [ɔ] (ou une voyelle vélaire proche de [ɔ]: [ʊ, , o, , ]). Relativement souvent, elle se centralise ou se palatalise en [ʏ, ø, œ, ə], voire même en [e, ɛ] ou s’amuït complètement. D’autre part, nous y examinons une éventuelle corrélation entre la nature de la désinence, la forme morphologiquement marquée ou non du radical verbal des verbes irréguliers et la présence du clitique sujet.
Pour garantir une bonne lisibilité des cartes, lorsque cela s’avère nécessaire, nous scindons l’information en deux et la présentons sur deux cartes, d’une part pour les formes du radical verbal, et d’autre part pour les formes de la désinence et l’emploi des clitiques sujets.
«je vois»: la base verbale
• formes «vocaliques»:
[vi. vʏ]
[ve, vɛ, vø]
[vei, vɛɪ, vɛj]
[va]
[vaj, vɑe]
• formes en -[ʑ, -ʒ]
[vɔɛʒ]
[væʑ]
autres formes
[av'ɛj]
[v] initial amuï
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Verbes irréguliers: «voir», 1re personne singulier de l’indicatif présent
parler de
témoin féminin
témoin masculin
1
Arbaz
vˈœ
2
Bionaz
vˈeɔ
3
Chalais
vˈiɔ, jɔ vˈiɔ
4
Chamoson
jɔ vˈɛɪ
5
Conthey
nʊ vøː
6
Évolène
jɔ vʏˈɔ
7
Fully
i vˈeɪ
8
Hérémence
vˈɛjo
9
Isérables
j vˈɑe
10
La Chapelle-d’Abondance
də vˈi
də væʑ
11
Lens
vi
12
Les Marécottes
jø vˈɛːjø
parler de
témoin féminin
témoin masculin
13
Liddes
ø vˈɐjø
14
Lourtier
jø vˈɑe
15
Miège
jɔ vˈiːɔ
16
Montana
vˈiɔ
17
Nendaz
avˈɛjɔ
18
Orsières
vˈɛjɪ
19
St-Jean
jɔ vˈiɔ
ɔ vˈiɔ
20
Savièse
ˈy
21
Sixt
dʏ vij
22
Torgnon
d vˈɛjɔ
dzə vˈɛjo
23
Troistorrents
ʋaj
24
Val-d’Illiez
vˈajœ
25
Vouvry
vˈɛø, i vˈɔɛʒ
vˈɛjɔ, vˈɛjø
Fréquence globale des différents types de marquage morphologique
Marquage morphologique zéro du radical ([vʏ, etc.)
∅ - base non marquée - ∅
2
Marquage morphologique simple (a) : base non marquée + désinence ([vi], etc.)
∅ - base non marquée - désinence
14
Marquage morphologique simple (b) : clitique sujet + base non marquée ([i vˈeɪ, də vˈi, nʊ vøː], etc.)
clitique - base non marquée - ∅
6
Marquage morphologique double : clitique sujet + base non marquée + désinence ([jø vˈɛːjø, d vˈɛjɔ], etc.)