Carte n° 51166: Verbes irréguliers: «prendre», 1re personne singulier de l’indicatif présent. (2) Le marquage de la personne grammaticale.
⇒ Pour les généralités s’appliquant à toutes les cartes consacrées à la morphologie de la 1re personne singulier de l’indicatif présent (n° 51110 à 51190), voir la fin du commentaire.
Corpus
La carte a été établie sur la base de tous les énoncés du corpus qui contiennent la forme «je prends», 42 attestations en tout. Les réponses les plus systématiques proviennent de trois phrases, «Comme neuf heures, je prends …» et «Je goûte à quatre heures» du questionnaire commun aux deux sexes, et «Pour monter sur le toit, je prends une échelle» du questionnaire masculin. De nombreuses reformulations limitent le nombre d’attestations disponibles; celles-ci manquent pour Les Marécottes, Sixt et les deux parlers valdôtains.
Cartographie
La carte n° 51166 est à lire comme complément de la carte n° 51065. Pour des questions de lisibilité, elle se concentre sur la question des marques morphologiques qui peuvent s’ajouter au radical (clitique sujet, désinence vocalique ou tous les deux). Dans la carte et dans le tableau statistique au bas de la page, nous distinguons les formes du verbe sans consonne finale analogique du radical [pr, prɛn] ( «base non marquée»; colonne de gauche du tableau) et avec [prz-, prʒ-, pɛʁn-] ( , «base marquée»; colonne de droite).
Analyse
Le nombre d’occurrences dans les parlers individuels est trop bas pour prétendre à une quelconque représentativité. Néanmoins, dès que plusieurs attestations sont disponibles, on voit apparaître une variation interne caractéristique: dans 5 parlers sur 25, différents types de marquage morphologique coexistent.
Théoriquement, toutes les formes dont le radical se termine en [z] ou en [ʒ] (38 occurrences sur 42 formes recensées; voir le tableau ci-dessous) sont suffisamment marquées par la consonne finale pour identifier morphologiquement la 1re personne du singulier par rapport aux 2e et 3e personnes du singulier dont la forme verbale est identique, du type ([pr, prɛn], plus rarement [pr] (25 attestations dans nos matériaux pour la 2e personne, 15 pour la 3e personne). Elles n’ont donc pas besoin d’un marquage morphologique supplémentaire, ce qui est effectivement le cas pour 5 occurrences. Dans tous les autres cas, on observe une marque morphologique supplémentaire (clitique sujet dans 5 cas, désinence vocalique dans 23 cas – c’est le contingent individuel le plus important parmi les huit configurations examinées –, tous les deux dans 5 cas).
Quant aux trois formes verbales du type [pr, pʀɛn], sans consonne finale distinctive, une ([m prɛn] à Val-d’Illiez) n’est pourvue d’aucune marque morphologique spécifique. Le danger de confusion homophonique avec les formes de la 3e personne du singulier, souvent employées sans clitique sujet elles aussi (la 2e personne du singulier, quant à elle, est marquée par l’emploi obligatoire du clitique sujet «tu») est évité par l’emploi du pronom réfléchi de la 1re personne du singulier [m]. Deux occurrences possèdent un clitique sujet ([jʏ pɹɛˈ] à Lourtier, [e pr] à Vouvry); les autres configurations ne sont pas attestées ici.
Ces chiffres laissent penser une fois de plus (cf. les cartes n° 51151, 51161) qu’il n’existe pas de corrélation claire, dans nos parlers, entre la présence ou l’absence d’une marque morphologique nette de la forme verbale et l’emploi du clitique sujet.
Généralités concernant toutes les formes verbales à la 1re personne singulier de l’indicatif présent (cartes n° 51110 à 51190)
Dans les descriptions «classiques» du francoprovençal (cf. p.ex. Martin 1990: 682), la morphologie verbale est décrite comme étant caractérisée par la conservation de la désinence -o de la 1re conjugaison latine à la 1re personne singulier de l'indicatif présent (lat. canto > fp. [tsˈtɔ]), étendue ensuite à toutes les conjugaisons et à d’autres temps verbaux. La 1re personne se distinguerait ainsi des 2e et 3e personnes du singulier selon le schéma «1re pers. ≠ 2e pers. = 3e pers.». Pour un verbe irrégulier tel que «venir», la conjugaison «canonique» serait donc du type 1sg [vˈəɲɔ] ≠ 2sg [v] = 3sg [v] ‘je viens ≠ tu viens = il vient’. La forme caractéristique du verbe à la 1re personne pourrait ainsi contribuer à expliquer la nature facultative du clitique sujet correspondant dans un grand nombre de parlers valaisans (cf. Marzys 1964: 22 et nos cartes n° 31021 et 31031). Dans nos matériaux, cette question est abordée pour le paradigme du verbe «voir» aux trois premières personnes du singulier (cartes n° 51190, 51220, 51320) ainsi que pour le paradigme du subjonctif présent (cartes n° 62110, 62210 et 62310).
Dans les parlers de notre réseau d’enquêtes, la situation réelle est cependant bien plus complexe, raison pour laquelle nous l’étudions ici pour huit verbes à la 1re personne du singulier: trois verbes issus de la 1re conjugaison latine en -are (cartes n° 51110, 51120, 51130), un verbe de la 4e conjugaison latine en -īre (cartes n° 51140 et 51141) et huit verbes irréguliers (cartes n° 51150 à 51190). Nous y abordons d’une part la nature de la désinence qui n’est pas toujours [ɔ] (ou une voyelle vélaire proche de [ɔ]: [ʊ, , o, , ]). Relativement souvent, elle se centralise ou se palatalise en [ʏ, ø, œ, ə], voire même en [e, ɛ] ou s’amuït complètement. D’autre part, nous y examinons une éventuelle corrélation entre la nature de la désinence, la forme morphologiquement marquée ou non du radical verbal des verbes irréguliers et la présence du clitique sujet.
Pour garantir une bonne lisibilité des cartes, lorsque cela s’avère nécessaire, nous scindons l’information en deux et la présentons sur deux cartes, d’une part pour les formes du radical verbal, et d’autre part pour les formes de la désinence et l’emploi des clitiques sujets.
«je prends»: le marquage de la personne grammaticale
formes du type [prʒ- / prdz-]
forme du type [pɛʁn-]
forme du type [pʁ]
emploi du clitique sujet
désinence vocalique
double marquage
données manquantes
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Verbes irréguliers: «prendre», 1re personne singulier de l’indicatif présent. (2) Le marquage de la personne grammaticale
parler de
témoin féminin
témoin masculin
1
Arbaz
-
prˈᶾʊ
2
Bionaz
-
-
3
Chalais
-
prˈŋz
4
Chamoson
pʁˈzɔ, pʁˈzɔ
pʁˈzɔ, pʁz
5
Conthey
-
prˈʒɔ
6
Évolène
-
jɔ prːʒ
7
Fully
-
prʒ, ɪ pɹˈʒ
8
Hérémence
-
pɹˈʒ, pʳˈʒɔ
9
Isérables
jʊ prˈzɔ, ə prːz
jɔ prˈzɔ
10
La Chapelle-d’Abondance
ðə pˈɛʁn
-
11
Lens
prˈʒɔ
pɹˈʒø
12
Les Marécottes
-
-
13
Liddes
pɹˈːz
-
parler de
témoin féminin
témoin masculin
14
Lourtier
jø pɹʒ, jʏ pɹɛˈ
j pɹʒ
15
Miège
jɔ prˈʒɔ
pɹˈʒo
16
Montana
prˈʒɔ
prˈʒo
17
Nendaz
prʒ, prˈʒə
prˈːʒö, prˈːʒɔ, prˈʒɔː
18
Orsières
pʁˈdzʏ
pʁˈndzʏ
19
St-Jean
-
jɔ prˈʒɔ
20
Savièse
-
ə pɹʒ
21
Sixt
-
-
22
Torgnon
-
-
23
Troistorrents
pʁˈzɔ
pʀˈzo
24
Val-d’Illiez
pʁˈʒə, pʁɛn
pʁʒ
25
Vouvry
-
e pr
Fréquence globale des différents types de marquage morphologique
Marquage morphologique zéro du radical ([pʁɛn])
∅ - base non marquée - ∅
1
Marquage morphologique simple (a) : base non marquée + désinence
∅ - base non marquée - désinence
-
Marquage morphologique simple (b) : clitique sujet + base non marquée ([jʏ pɹɛˈ, e prẽ], etc.)
clitique - base non marquée - ∅
2
Marquage morphologique double : clitique sujet + base non marquée + désinence
clitique - base non marquée - désinence
-
Marquage morphologique simple (a): base marquée ([pʁz, pɹʒ, prʒ], etc.])
Pour les neuf heures .. de matin je prends un morceau de fromage .. morceau de saucisse .. bien euh .. un thermos de café ou bien une .. une goutte de vin (rire).
ə prːz də pˈɔrːɛ dɛ tsuː də rːˈaːʋə
Je prends de poireaux de choux de raves.
9.2 IsérablesM:
pɹ ənˈo ɕɔ ɔ tˈæɛ jɔ prˈzɔ n ɛːtʃˈɑːᵊ
Pour (aller) en haut sur le toit je prends une échelle.
10.1 La Chapelle-d’AbondanceF:
pu l katʁ ˈœʁɛ ðə pˈɛʁn na tas də kafˈe
Pour les quatre heures je prends une tasse de café.
10.2 La Chapelle-d’AbondanceM:
-
11.1 LensF:
prˈʒɔ d poʁˈ d tsu - ɛ dɛ ʁˈɑːvɛ
Je prends de poireaux de choux .. et de raves.
11.2 LensM:
pəɹ ɐlˈɐ ʃu ʊ tiᵗ pɹˈʒø ʏn ɛɕjˈɛlɐ
Pour aller sur le toit je prends une échelle.
13.1 LiddesF:
pɔ li nːʋ ˈœʏrə pɹˈːz na tˈasɑ dɛ kɔfˈɪ
Pour les neuf heures je prends une tasse de café.
13.2 LiddesM:
-
14.1 LourtierF:
pʊ ɪ dje ʒ ˈɔːʁ jø pɹʒ mwe də p də fʁømˈɑdz y b də kfitˈyːʁə
Pour les dix heures je prends un morceau de pain de fromage ou bien de confiture.
jʏ pɹɛˈ dœ pɔʁˈː dœ tsʊ ɛ də ʁɑᶹᵋ
Je prends de poireaux de choux et de raves.
14.2 LourtierM:
pɔ ɐlˈa øenˈ ɕᵘ ə tˈɑe j pɹʒ yn etsˈiːɐ
Pour aller en haut sur le toit je prends une échelle.