Carte n° 33200: La morphologie du pronom objet direct de la 3^e personne du singulier: les formes du féminin singulier

En francoprovençal comme dans toutes les langues romanes voisines, le pronom objet direct de la 3^e personne (singulier et pluriel) a les mêmes bases étymologiques que l’article défini (< lat. illum, illam, illos, illas). Les cartes correspondantes présentent donc de nombreuses ressemblances. Néanmoins, les formes du pronom ont développé certaines particularités qui n’apparaissent pas dans celles de l’article défini.

articles définis et pronoms régimes de la 3^e personne: cartes correspondantes.

Corpus

Le pronom régime «la» a fait l’objet de trois énoncés dans le questionnaire masculin: «Châtaigne, je ne sais pas si je veux qu’elle vêle génisson ou si je la garde génisse», «(L’herbe) On la laisse sécher dans les prés», «(La porte) Je ne la ferme jamais à clé». À cela s’ajoutent des attestations prévocaliques dont la forme neutralise l’opposition de genre, comme en français; elles ne permettent pas toujours de savoir si l’antécédent est masculin ou féminin: «Le chien l’a mordu(e) à la cuisse» (questionnaire commun; l’antécédent peut être des deux genres; cf. le commentaire de la carte n° 42360); «Ma sœur ne mange pas du tout de viande séchée. Elle ne l’aime pas» (questionnaire féminin), «Mon frère voyait sa fiancée en cachette parce que son futur beau-père ne l’aimait pas» (questionnaire féminin; dans les réponses, l’antécédent peut être «le frère» ou «la fiancée»):

 frarˈø vˈe ʃaː - fjãsˈɛ d katsˈ paskʲœ ʃː bo pˈɑʁə - ɔa ɔt am- at amˈaɛ pa (ContheyF)
Le frère voyait sa .. fiancée de cachette parce que son beau-père .. le .. l*’aim.. l*’aimait pas.
^*Hésitation de l’informatrice sur le genre du pronom régime (le/la).

Relevés antérieurs

Notre enquête est la première qui documente la forme du pronom régime «la» dans les parlers valaisans; celui-ci n’a pas été relevé par les enquêtes de l’ALF et des TP.

Cartographie, analyse

– Dans la majorité des parlers étudiés, la forme du pronom régime «la» coïncide avec celle de l’article défini féminin – ou avec l’article défini féminin du cas régime dans les parlers à système bicasuel –, [la, lɑ] ou [æ, a, ɑ, ɐ].

– Les formes prévocaliques du type [w] et [ɔ] attestées à Arbaz et à Nendaz correspondent aux formes prévocaliques de l’article défini féminin du cas régime; elles résultent de la vocalisation du [l] initial. – Faute de matériaux suffisants pour l’ensemble de la région étudiée, la carte correspondante pour l’article défini prévocalique n’a pas été réalisée. Cf. cependant les exemples suivants:

ɛ fëʎ e jʊ ʃe ʃetˈi d o ˈɛɹbɑ
La fille et moi sommes assises dans l’herbe. (ArbazF)

nʊʒ ʃɥˈɪɲm bŋ d w ˈtɑ ʒywˈiːɑ
^Nous nous ensouvenons bien de la tante Julie. (ArbazF)

lɐ jˈœstə nʏ  ke w ˈŋtsə l ɐʀwɑɛ bɑː - ʃˈelːɑ
Il y a juste neuf ans que l’avalanche est arrivée en bas .. là. (ArbazM)

La forme enclitique [wa] dans l’impératif «Ferme la bouche» dans l’énoncé suivant du témoin d’Arbaz illustre la même tendance:

bˈɔtɕlɑ wɑː - fˈɛrmɑ wɑː
Boucle-la .. ferme-la. (ArbazM)

– Plusieurs parlers du Valais central qui tendent à amuïr le [l] initial ont cependant développé des formes spécifiques du pronom régime qui permettent d’éviter une homophonie gênante entre le pronom «la», l’article défini «la» (carte n° 21010) et l’article défini prépositionnel «à la» (carte n° 21020), à côté des formes de base:

• sur la rive droite du Rhône, les parlers de Chamoson, Conthey et Savièse possèdent une forme «renforcée» [at, atœ], etc. prévocalique et préconsonantique, semblable aux formes du pluriel ([nɔʒe, vɔʒe, ɛʒɛ]). Contrairement aux formes du pluriel préconsonantique où le [ʒ] s’explique par une consonne de liaison propagée de manière analogique, l’origine du [t, tœ] n’est pas élucidée (< pronom [tə] du datif éthique désémantisé?). Une forme analogue [ɔt, ɔtə] est également attestée à Conthey et à Nendaz pour le masculin (carte n° 33202).

• le parler de Lourtier a développé une forme prévocalique [aj], analogue à celle du masculin [ʊj, oj] (carte n° 33202) qui permet d’éviter l’hiatus.

– Les formes du type [lø, lœ, lə] attestées dans plusieurs parlers (Isérables, Orsières, St-Jean, Vouvry) pourraient refléter une neutralisation de l’opposition de genre, avec les formes masculines comme formes «génériques».

– À titre d’exemple, nous reproduisons également quelques cas de non-emploi caractéristique du pronom régime ( dans la carte,     dans les transcriptions).