Carte n° 33050: La forme du clitique sujet prévocalique de la 3^e personne du féminin singulier (CS.3sg.f prévoc.)

Généralités

Ce commentaire est en grande partie commun aux cartes n° 33050 (CS.3sg.f prévoc.) et 33060 (CS.3sg.m prévoc.): comme en position préconsonantique (cartes n° 33030 et n° 33040), suite à une évolution déjà attestée dans les enquêtes géolinguistiques du début du XX^e siècle (ALF, TP; cf. Kristol 2018), une majorité des parlers valaisans et voisins a neutralisé l’opposition de genre pour les formes du clitique sujet de la 3^e personne du singulier. Les formes du masculin et du féminin sont donc identiques, à l’exception des parlers d’Évolène, de Liddes, ainsi que partiellement de Sixt et (très partiellement) de St-Jean et de Torgnon.

Corpus

Les cartes 33050 et 33051 s’appuient sur la totalité des formes du CS.3sg.f. prévocalique (ou de son non-emploi) dans nos matériaux, 1172 attestations en tout.

Le plus grand contingent d’attestations est constitué par les 3sg d’«être» et d’«avoir» (pour les formes verbales correspondantes, cf. aussi les cartes n° 51330 à 51344, 52330 et 52360); dans la mesure du possible, dans la liste des attestations, nous avons privilégié ici les autres verbes à initiale vocalique («acheter, aller, aimer», etc.)

Relevés antérieurs

Dans les TP, le CS.3sg.f prévocalique fait l’objet des col. 105 «elle est perdue», 306 «elle a / elle est été» et 328 «elle a sommeil». Des données complètes pour le CS.3sg.m prévocalique se trouvent dans 8 colonnes des TP, toujours devant «être» (trois fois) et «avoir» (cinq fois). La confrontation entre les col. 328 «elle a sommeil» et 429 «il a le bras (nu)» (ci-dessous) illustre l’identité formelle du féminin et du mas­culin dans 10 parlers sur 15.

La carte ALF n° 1001 «elle est perdue» atteste des formes du féminin prévocalique qui ont échappé à l’enquête des TP (pt. 976 d , pt. 977  ), mais qui apparaissent aussi dans nos matériaux.

Cartographie, analyse

– Selon nos matériaux, le masculin et féminin prévocalique, dans une majorité des parlers valaisans situés surtout dans l’Ouest du domaine, mais aussi à Savièse, Chalais, St-Jean et Bionaz, est carac­térisé par des formes en [l], inusitées en position préconsonantique: [l] seul ainsi que [il, ʏl], [el, ɛl] et  [øl, œl, əl]. Dans tous ces parlers, [l] seul est la forme individuelle la plus fréquente. Dans les autres parlers, le polymorphisme reste important. Quant à la voyelle de ces formes, elle se situe dans la même zone du système vocalique que les formes préconsonantiques, ce qui reflète la parenté étymologique entre les séries prévocalique et préconsonantique. L’existence, dans de nombreux parlers (11 sur 25), d’une forme [el, ɛl] pour le CS.3sg.m pourrait signifier que les formes homophones du CS.3sg.f prévocalique sont autochtones, à l’inverse de ce qui a été dit pour les rares [ɛl] préconsonantiques, limitées au féminin (carte n° 33030).

– Un deuxième groupe de parlers, plus petit, situé plutôt à l’Est du domaine (Lens, Montana, Miège au nord du Rhône, Nendaz et Hérémence au sud), utilise de manière exclusive des formes sans [l], proches de celles du masculin préconsonantique. Dans ces formes, pour éviter l’hiatus, les  [i] peuvent passer à [j] et les [i, e, ɛ] dégager un [j] de transition, parfois à peine perceptible (> [ij],  [ej, ɛj]), devant la voyelle initiale du verbe.

– Dans un troisième groupe de parlers, sans continuité territoriale, certaines formes en [l] se sont introduites dans un système composé majoritairement de formes vocaliques [i, ɪ, e, ɛ, ø] – ou, inversement, une forme vocalique a pu s’introduire dans un système de formes majoritaires en [l].

– À Arbaz et à Lourtier, aucune forme de CS.3sg.f n’est attestée dans nos matériaux  ().

À côté des nombreux dialectes qui ont neutralisé l’opposition de genre, on retrouve les deux parlers, Liddes et Évolène, qui la maintiennent, sans exception, comme en position préconsonantique.

– À Liddes, l’opposition se fait entre [d] (féminin) et [l] (masculin). L’emploi du [d] féminin est généralisé, même après un sujet nominal (cf. carte n° 33051); pour le masculin, nous avons enregistré un seul exemple de CS zéro prévocalique () à côté de 73 occurrences du [l] masculin (cf. la carte n° 33061). À Évolène, l’opposition se réalise entre  [l] féminin et [ij/ɪj], [i, j] pour le masculin. Comme à Liddes, à Évolène l’emploi de la forme féminine est généralisé dans toutes les positions (cf. carte 33051); au masculin, on observe un petit taux de CS zéro (cf. carte n° 33060 et 33061). 

– Signalons dans ce contexte que le parler de la commune d’Orsières, voisine immédiate située à environ 7 kilomètres en aval de Liddes, peut utiliser [d] et [l] pour les deux genres. Comparé à celui de Liddes, ce parler illustre ainsi le processus de neutralisation des deux genres par la propagation des morphèmes prévocaliques de la 3sg.m vers le féminin et de ceux de la 3sg.f vers le masculin. Aucune norme «scolaire» ou autre n’inhibant ce processus, l’abandon de l’opposition structurale s’accompagne du maintien des morphèmes respectifs (masculins et féminins, à l’origine), ce qui accroît le polymorphisme des formes disponibles pour une fonction déterminée. Des processus analogues s’observent également dans d’autres secteurs de la morphologie du francoprovençal valaisan tels que l’article défini, après l’abandon, dans une partie des dialectes, du système bicasuel traditionnel (cf. le commentaire de la carte n° 21012).

– Comme pour la position préconsonantique, le parler de Sixt tient une position intermédiaire entre les dialectes qui neutralisent l’opposition de genre et ceux qui la maintiennent. Les deux formes prévocaliques les plus fréquentes, [al, ɑl] pour le CS.3sg.m (30 attestations sur 49) et [il] (sic) pour le CS.3sg.f (22 attestations sur 31) maintiennent l’opposition. Les formes plus rares, [œl, əl] et [el, ɛl], en revanche, s’emploient pour les deux genres.

– Les parlers de St-Jean et de Torgnon présentent également des systèmes mixtes, avec maintien partiel de l’opposition:

Pour des précisions ultérieures concernant la 3.sg.f du verbe «avoir», cf. aussi la carte n° 51330.