Carte n° 33040: La forme du clitique sujet préconsonantique de la 3^e personne du masculin (et du neutre) singulier (CS.3sg.m. précons.)

Généralités

Ce commentaire est en grande partie commun aux cartes n° 33030 (CS.3sg.f. précons.) et 33040 (CS.3sg.m. précons.): suite à une évolution déjà attestée au début du XX^e siècle (cf. TP col. 94 «il ferme» et 329 «elle dort») et qui s’est poursuivie au cours du siècle (cf. Kristol 2018), une majorité des parlers valaisans et voisins a neutralisé l’opposition de genre pour les formes du clitique sujet de la 3^e personne du singulier. Cette évolution a pu être favorisée par le fait que dans tous les parlers, l’emploi du clitique sujet masculin de la 3^e personne du singulier est resté facultatif (avec des taux d’emploi très variables; cf. carte n° 33041): lorsque le clitique sujet n’est pas exprimé, il n’y a évidemment aucune différence entre le féminin et le masculin, comme c’était le cas pour le verbe en latin.

À la différence de la plupart des parlers francoprovençaux de France qui possèdent un pronom personnel neutre spécifique (clitique sujet et pronom objet; cf. Martin 1974), les parlers valaisans et valdôtains ne distinguent pas les formes du masculin et du neutre. Les verbes impersonnels («il faut») et météorologiques («il pleut», etc.) sont traités comme les masculins. Même si dans certains parlers le clitique sujet neutre semble peut-être un peu moins fréquent que le masculin, nous n’avons observé aucune différence statistiquement significative à cet égard. Pour le cas spécifique de la tournure «il y a», cf. les cartes n° 51334 et 51340.

Corpus

Les cartes 33040 et 33041 s’appuient sur la totalité des formes du CS.3sg.m. préconsonantique (et de son non-emploi) dans nos matériaux, 2038 attestations en tout.

Relevés antérieurs

Dans les TP, l’identité formelle entre les formes du féminin et du masculin est déjà attestée dans 9 parlers sur 15; les formes du masculin et du neutre coïncident entièrement. Les cartes correspondantes de l’ALF (24 cartes qui comprennent un «il» préconsonantique) n’apportent pas de renseignements supplémen­taires.

Le CS.3sg. préconsononantique féminin, masculin et neutre dans les TP
(col. 329 «elle dort», col. 94 «il ferme» et col. 10 «il pleut»)

Cartographie, analyse

Dans nos matériaux, les seuls dialectes qui maintiennent la distinction entre le féminin et le masculin sont ceux d’Évolène, de Liddes, de St-Jean et de Sixt. La neutralisation de l’opposition de genre semble avoir progressé au cours du XX^e siècle depuis les parlers de la plaine. Selon Marzys 1964: 32, le parler d’Hérémence distinguait encore le féminin du masculin; dans nos propres matériaux, elle est neutralisée. Il est sans doute significatif que les seuls parlers de notre corpus qui la maintiennent encore entièrement se trouvent en position périphérique par rapport à la vallée du Rhône (Évolène, Liddes) et tout au fond de leur vallée (Sixt).

Dans la majorité des parlers, à côté d’un nombre variable de verbes sans CS (cf. carte n° 33041), le CS.3sg.m. précons. consiste en une seule voyelle qui se situe dans une zone continue de voyelles antérieures, entre [i]/[y], [e/ɛ] et [ø/œ/ə]:

La zone de réalisation «globale» du CS.3SG préconsonantique dans les dialectes étudiés

À l’intérieur de la zone phonétique ainsi circonscrite, chaque dialecte local présente un espace de variation spécifique à l’intérieur duquel toutes les réalisations individuelles doivent être considérées comme grammaticales. Toute la latitude est exploitée par exemple à Nendaz. À Conthey et à Troistorrents, il ne manque que la valeur antérieure arrondie la plus fermée ([y, ʏ]). À Orsières, en revanche, seules apparaissent les voyelles les plus fermées, [i] et [ɪ]. En comparaison avec les formes analogues du féminin, il n’est cependant pas exclu que dans certains parlers, un nombre plus élevé d’attestations agrandirait la zone de diffusion observée.

Les parlers des Marécottes et de Liddes présentent des formes contenant les mêmes voyelles, mais précédées d’un [j]: [jɪ, jʏ], [je, jɛ], [jø], [jə]. Évolène présente une double série de formes avec ou sans [j] initial: [jʏ], [je], [j], [jø], [jœ] d’une part, [i], [ɪ], [ʏ], [ë] de l’autre. De manière ponctuelle, des formes avec [j] initial apparaissent aussi à la Chapelle-d’Abondance, Torgnon et Troistorrents.

Dans ce cadre, même si certaines apparaissent comme majoritaires, les formes individuelles sont librement disponibles et interchangeables au sein d’un même acte de parole, comme le montrent les énoncés suivants; il nous a été impossible d’identifier des facteurs contextuels qui permettraient de justifier (ou de prédire) l’apparition de l’une ou l’autre des formes observées:

jø mˈzə də ʒ u - e jœːʏ - jʏ pr lɔ zˈaːnɔ aw la miˈla dʊ pã (Évolène)
Il mange de-z œufs .. et il .. il prend le jaune avec la mie du pain.

k lʏ fumˈe ʏ mtɛ dreɡs jʏ va feːr bjo tŋ ɛ tsɑt (Évolène)
Quand la fumée il* monte droit, il va faire beau temps et chaud.
*[fumˈe] est masculin (FQ 1989 s.v. foumé).

kãt i fe tsɑ y fɔ œrdʒj ø kurcjˈe (Nendaz)
Quand il fait chaud, il faut arroser le jardin.

Dans deux parlers, cet éventail de formes est encore complété par des formes isolées contenant un [l] initial:: [li] à Chalais, [ɑl] à Sixt.

La forme [li] de Chalais est un «trompe-l’œil»: c’est une forme étymologiquement féminine, mais puisque le parler de Chalais a complètement neutralisé l’opposition de genre pour le clitique sujet de la 3sg, comme la grande majorité des parlers valaisans, il est devenu possible d’employer une forme «féminine» pour le masculin.

L’occurrence isolée de [ɑl] à Sixt résulte probablement d’un petit lapsus: comme le montre l’énoncé correspondant, [ɑl] (avec ses variantes) est en principe la forme prévocalique du CS.3sg.m. (cf. carte n° 33060):

ɑl s ɛ - ɐl a sedˈy ə pla vtr
Il s’est .. il a chu à plat ventre.

Pour plus de précisions quant à la fréquence d’emploi du CS.3sg.m précons., cf. la carte n° 33041. Pour la comparaison entre les formes féminines et masculines voir aussi la carte n° 33030.