Carte n° 25200: Le pronom relatif

Corpus

Les occurrences du pronom relatif dans ses différentes fonctions syntaxiques (sujet, objet direct, objet indirect et circonstanciel) sont nombreuses dans nos matériaux: 1359 attestations (plus de 50 attestations en moyenne pour chaque parler).

Pour la fonction «sujet», les matériaux proviennent principalement des quinze énoncés suivants: «La semaine qui vient ils iront au marché», «Il a le coeur qui bat», «Il y a au moins six grenouilles qui coassent au marais», «En hiver, il y a des glaçons qui pendent au tuyau de la fontaine», «Autrefois, j’achetais les balais chez les camelots qui passaient», «On ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif», «Il y a toujours une marmotte qui veille» (questionnaire commun aux deux sexes), «Les chaussettes, c’est moi qui les ai tricotées», «La semaine qui vient, elle verra tous ses frères et sœurs» (questionnaire féminin); «Il y a un essaim qui s’est échappé de la ruche», «Il y a des poules qui ont les plumes blanches», «Je vois le soleil qui se lève», «Tu vois la lune qui se couche», «Elle voit les étoiles qui brillent», «Elles voient la grêle qui tombe» (questionnaire masculin).

Pour les différents compléments d’objet et circonstanciels, le questionnaire comprend cinq énoncés: «Il y a juste neuf ans qu’une avalanche est descendue ici» (questionnaire commun»), «Les gamines mangeaient les framboises qu’elles avaient cueillies», «Vous vous souvenez des histoires que grand-papa racontait?» «Chaque fois que je voyais ma belle-mère, on se disputait» (questionnaire féminin); «C’est au raccard qu’on battait le blé» (questionnaire masculin).

À cela s’ajoutent de nombreuses attestations spontanées.

Relevés antérieurs

Les formes du pronom relatif sujet font l’objet des cartes 29 et 209 de l’ALF. Les formes de l’objet «que» ne sont pas attestées. Les formes du pronom relatif n’ont pas été relevées par les TP.

Analyse

(1) La carte 25200 documente le fait que tous les parlers de notre domaine possèdent un pronom relatif générique, acasuel [kʲe, kʲə, kj, ke, kə], etc., dont la forme, tout en représentant un antécédent nominal ou pronominal, ne distingue aucune fonction casuelle dans la syntaxe de la proposition subordonnée. Dans le tableau des formes et la liste des attestions, nous illustrons l’emploi des formes correspondantes

– en fonction de «sujet» devant un verbe sans clitique sujet ([nɑ mɑɹmˈɔtɐ kə vˈlːə] ArbazF ‘une marmotte que veille’), où, en français, on attendrait le pronom relatif sujet «qui»;

– en fonction de pronom relatif «pur», sans fonction casuelle, devant un verbe de la subordonnée précédé d’un clitique sujet ([na veʒˈinɐ k l ɛ nɛhˈɔj a ʃˈiʁɔ] ChalaisF ‘une voisine qu’elle est née à Sierre’, [na mrmˈuta kø lø tʏn amˈ] ÉvolèneF ‘une marmotte qu’elle surveille’) comme cela s’observe en français populaire («décumul»: dissociation de la fonction relative et casuelle; cf. Guiraud 1966);

– en fonction de pronom relatif objet du verbe de la subordonnée: [lɔ bla k õn a batˈup] MontanaM ‘le blé qu’on a battu’, [ dzø … ki ʏ ʋˈɐtsə ʋʏɲ bɒ ɐ mːtˈæɲ] LourtierM ‘le jour que les vaches descendent de l’alpage’, [tɔ ʃœŋ k n œm bəʒˈ] ChalaisF ‘tout ce que nous avons besoin’, [la ʎyð k  sɛʁvˈɪvœ] SixtF ‘la luge dont on se servait (litt. qu’on servait)’, [lu kaj - k  l bajˈɑvœ a mẽdʒˈi tɔ l  puʁ s] Val-d’IlliezF ‘le cochon .. à qui on donnait (litt. qu’on lui donnait) à manger tout l’an pour ça’.

(2) La variation formelle (polymorphisme non fonctionnel, cf. Kristol 2018) de ce pronom relatif générique est élevée [ke, kɛ, kœ, kə, k], parfois avec un [j], signe de palatalisation [kje, kjɛ, kjə], etc., mais aussi, plus rarement, [kʏ] et [kɪ], même lorsqu’il représente l’objet de la subordonnée:

ɪ pɪtˈite mnᵈʑˈiɛ œ frɑmbwˈɑzː kɪ nʊ vɑʒˈin tsaɕj ʊ kʊrtˈʏ (SavièseF)
Les petites mangeaient les framboises que nous allions chercher au jardin.

sə - ʃ lɛ rjɛbˈʏnə kʲʏ nɔ mẽzʲˈɛj kɪ nɔ mœtˈɛŋ ɪ rœpˈa - ɛ lɛ kɑrˈɔtə ʃirˈ lɛ lɛ lɛ ɡrˈʊːʃɛ kʲɪ  dɔnˈɑvɛ ɪ kˈɔʃ ɛ ɪ vˈɑʃtsɛ (St-JeanF)
Ça .. ce sont les carottes que nous mangions que nous mettions aux repas .. et les betteraves étaient les les les grosses qu’on donnait aux cochons et aux vaches.

Un polymorphisme analogue se trouve pour les formes de la conjonction «que» qui peut également se réaliser comme [kɛ] ou [kɪ], etc., sans la moindre différenciation fonctionnelle, évidemment:

ʃˈble kɛ l pœ l ɐ tstˈo ʋˈit wɛ matˈ (Les MarécottesM)
Il semble que le coq il a chanté tôt aujourd'hui matin.

d tsotˈ le ʋˈatsø ʃˈɔʁt d øvˈɛə l ə tdˈy kɪ l ˈɛt dədˈ (Les MarécottesM)
D’été les vaches sortent d’hiver il est entendu qu’elles demeurent dedans.

Un des parlers le plus caractéristique à ce sujet est celui de Chalais qui possède une conjonction «que» hautement polymorphique [kɪ, kʏ, ke, k, kɛ, kœ, k, kə, kʲe, kʲə, kʲʏ, k, k, cə, ɡə, ɡ], dont les formes sont identiques à celles du pronom relatif acasuel.

(3) À cela s’ajoutent, dans tous les parlers situés à l’est de la ligne Conthey-Nendaz-Lourtier (à l’exception d’Arbaz), mais aussi à Isérables et rarement à Sixt et à La Chapelle-d’Abondance, des formes dont l’interprétation n’est pas certaine, étant donné la nature facultative du clitique sujet de la 3^e personne dans presque tous nos parlers:

Dans les énoncés correspondants il peut s’agir soit

– du pronom relatif sujet [kɪ] ‘qui’ héréditaire (< lat. qui), partiellement conservé dans les parlers orientaux qui maintiennent un système bicasuel de l’article défini (cf. cartes n° 21010 et 21012 et (4), ci-dessous),

– du pronom relatif sujet [kɪ] ‘qui’ dont l’emploi serait influencé par le français,

– du pronom relatif objet [kɪ] ‘que’ comme dans les exemples des Marécottes, de Savièse et de St-Jean mentionnés ci-dessus

soit alors

– du pronom relatif objet [k] ou [kʲ], devant le clitique sujet [i/ɪ] masculin et féminin, singulier et pluriel, facultatif mais bien attesté dans de nombreux parlers (cf. cartes n° 33030, 33040, 33050, 33060, 36030, 36040, 36050)

– du pronom relatif «pur» [k] ou [kʲ], sans fonction casuelle, «décumulé», devant le même clitique sujet facultatif [i/ɪ], voire [e] (à Savièse).

(4) Ce n’est que rarement que nous rencontrons un pronom relatif sujet [ki] dont la forme n’est pas ambiguë. C’est le cas d’un petit nombre d’occurrences chez le témoin masculin d’Hérémence:

j a təlˈ na marmˈɔtːa kɪ vˈɛʎe (HérémenceM)
II y a toujours une marmotte qui veille.

À Hérémence, nous n’avons aucune autre attestation pour [ɪ] comme clitique sujet féminin préconsonantique; l’interprétation «décumulée» ([na marmˈɔtːa k ɪ vˈɛʎe] «une marmotte qu’elle veille») est peu vraisemblable. Nous pensons donc qu’il s’agit ici d’un exemple pour le maintien du système bicasuel tel qu’il est encore attesté pour Hérémence par Lavallaz 1899, §397.III. Chez l’informatrice féminine en revanche, on ne trouve aucune forme de ce type; l’opposition casuelle sujet/objet est neutralisée au profit de [kɛ/k].

N.B. Les formes kĭ attestées dans les cartes ALF 29 et 209 aux points 979 (Lens) et 989 (Vissoie) pourraient représenter le même cas de figure, mais restent ambiguës: kĭ vj r ‘(quelqu’un) qui vous ira’ (carte 29, pt. 989) pourrait également être analysé comme cas de décumul k ĭ vj r ‘(quelqu’un) qu’il vous ira’; [ɪ] est en effet bien attesté comme clitique sujet préconsonantique dans nos données pour le parler anniviard immédiatement voisin de St-Jean. Il en va de même pour la forme hl kĭ ‘ceux qui (finissent)’ (carte 209, pt. 989) qui pourrait aussi s’interpréter comme hl k ĭ ‘ceux qu’ils (finissent). La forme analogue de Lens (pt. 979), en revanche, s’interprétera sans doute comme un «qui» sujet, sans décumul, le clitique sujet préconsonantique masculin pluriel étant extrêmement rare dans ce parler (cf. carte n° 36030) et [ɪ] n’y étant pas attesté du tout.