Carte n° 24010: Le pronom démonstratif féminin singulier de la proximité

Généralités

Les cartes du chapitre 2.4. «Les pronoms et déterminants démonstratifs» (n° 24010, 24012, 24014, 24020, 24022, 24024 et 24030) constituent une tentative partielle et incomplète d’étudier le fonctionnement du système des pronoms et déterminants démonstratifs. Les problèmes rencontrés sont essentiellement dus à un dispositif d’enquête inadapté à la situation dialectale: les questions formulées en français reflétaient forcément la structure bipartite du démonstratif français, possédant une seule forme pronominale (m. celui / f. celle) précisée au moyen des adverbes déictiques ci (proximité) et là (éloignement): celui-ci ~ celui-là, celle-ci ~ celle-là. L’analyse des données dialectales a rapidement révélé, cependant, qu’un nombre significatif de nos parlers possède une deixis locale et temporelle à trois termes: proximité, 1^er et 2^e degré d’éloignement, système comparable aux structures du latin classique (hic/haec ~ iste/ista ~ ille/illa), de l’italien ancien (questo/questa ~ codesto/codesta ~ quello/quella) et de l’espagnol contemporain (este/esta ~ ese/esa ~ aquel/aquella). C’est surtout la distinction des formes du 1^er et du 2^e degré d’éloignement qui est parfois problématique dans nos matériaux; les formes de la proximité (correspondant au français celui-ci/celle-ci) ont été plus facilement relevées par les moyens de notre enquête.

Dans les parlers concernés, la «triade démonstrative» se manifeste non seulement pour les pronoms et déterminants démonstratifs (cf. nos cartes n° 24010 à 24024), mais encore pour les adverbes déic­tiques (carte n° 24030) qui accompagnent facultativement les formes démonstratives. La triade des adverbes pouvant se superposer à celle des pronoms (un pronom de la proximité peut se combiner avec un adverbe de la proximité, du 1^er ou du 2^e degré d’éloignement, etc.), il en résulte un système de la plus haute complexité dont la description précise ne peut être que du ressort des études monographiques (dans la mesure où celles-ci sont conscientes du phénomène et ne sont pas influencées par la grammaire du français scolaire): un bon exemple, très positif à cet égard, est la petite grammaire du parler de Savièse de Bretz-Héritier 1996: 28.

Quant au GPSR, il décrit bien les principaux pronoms et déterminants démonstratifs (cf. les articles ce, cet, cette, celui, celle, celi, cestui, cesti du vol. 3) en fonction de leur étymologie, mais, n’étant pas une grammaire, il ne distingue pas suffisamment leurs fonctions démonstratives: les différentes formes peuvent en effet occuper, selon les parlers, différentes «cases» des systèmes dé­monstratifs individuels, ce qui demanderait une analyse détaillée pour chaque parler. Enfin, une partie des articles (sé, sa) n’est pas encore rédigée. Quant aux adverbes déictiques mentionnés à la fin des articles consacrés aux différents pronoms, leur analyse est insuffisante: ainsi, les formes «intermédiaires» du type ikə, inkə (1^er degré d’éloignement) sont simplement traduites par «ici, là» (cf. p.ex. GPSR 3: 177, 189), le français n’offrant pas de traduction adéquate.

Le même problème s’observe jusque dans les meilleurs dictionnaires bilingues (dialecte/français) disponibles pour certains parlers et dont les auteurs sont souvent des locuteurs parfaitement familia­risés avec leur dialecte: quand les formes du pronom/déterminant et de l’adverbe du degré intermé­diaire sont mentionnées, les traductions sont souvent tâtonnantes.

On ajoutera à cela que certains parlers bien documentés (p.ex. Évolène; Pannatier 1995) semblent avoir adopté une deixis bipartite (tout en maintenant un système bicasuel et des formes pronominales bien distinctes) et que d’autres parlers distinguent les formes du pronom de celles du déterminant (cf. carte n° 24010). On constate aussi que dans plusieurs parlers, les structures morphologiques des for­mes féminines se distinguent de celles du masculin (trois formes distinctes pour le féminin, deux pour le masculin); dans ce cas, ce sont les adverbes déictiques qui maintiennent pour le masculin la dis­tinction entre le 1^er et le 2^e degré d’éloignement.

Dans ces circonstances, nos cartes (n° 24010, 24012 pour le féminin, 24020, 24022 pour le masculin) se contentent de documenter les formes effectivement recueillies et de dégager les structures obser­vables (cartes n° 24014 et 24024); pour plusieurs parlers, les données à notre disposition ne permettent pas de déterminer s’ils possèdent une deixis à deux ou à trois éléments.

Nos matériaux étant nettement insuffisants pour les formes du pluriel, nous avons dû renoncer à les cartographier.

Corpus

La carte n° 24010 a été élaborée sur la base de deux énoncés du questionnaire commun: «Celle-ci a les cheveux noirs» et «Les cheveux de celle-ci sont raides», à quoi s’ajoutent quelques réponses spon­tanées supplémentaires. La forme voulue manque pour Sixt et pour Vouvry où les deux informateurs ont répondu par des formes du 1^er ou 2^e degré d’éloignement.

Relevés antérieurs

Une forme du pronom démonstratif féminin a été relevé par la carte ALF n° 208 «(Je voudrais bien avoir) de celle-ci». Les TP n’ont enregistré que le déterminant «cette» (col. 325 «cette fillette»). Les deux enquêtes du début du XX^e siècle ne permettent pas de restituer le système du démonstratif féminin dans son ensemble.

Dans l’ALF (cf. la carte ci-dessous), la majorité des réponses reflète la forme de la proximité st (st et variantes en Vallée d’Aoste), employée seule (p. 978) ou suivie de l’adverbe déictique de la proximité s/ ou . Les notations divergentes sont rares:  (p. 956) est un neutre (‘cela’). D’après nos données, sk (p. 968) est une forme du 1^er degré d’éloignement (s, avec l’adverbe déictique k correspondant). La forme du p. 957 combine un démonstratif du 2^e degré d’éloignement avec un déictique de la proximité, la forme valdôtaine du p. 975 un démonstratif de la proximité avec un déictique du 1^er degré d’éloignement.

Dans les TP, à la lumière de nos données, les formes de la proximité (sta), du 1^er (sa, ha) et du 2^e degré d’éloignement (la) se côtoient et se mélangent, en fonction de l’interprétation que les informa­teurs ont donnée à l’énoncé du questionnaire. Sans termes de comparaison, une analyse «systémique» des matériaux des TP n’est pas possible.

Analyse

De manière assez homogène, la forme du pronom démonstratif féminin de la proximité est  [sta] ou [ʃta] (< lat. ecce-ĭsta; cf. GPSR 3: 240-246) dans l’ensemble du domaine, à l’exception de quelques parlers de la région de Sierre (Chalais, Miège, St-Jean) qui utilisent  [ste, sti, stʏ, stø] (< lat. ecce-ĭstæi; cf. GPSR 3: 229-230) et Évolène, seul parler à maintenir un système bicasuel où [stʏ] est la forme du cas sujet et [sta] celle du régime. Pour le déterminant démonstratif de la proximité, la zone d’emploi de [stø] comprend également les parlers de Lens et de Montana (cf. la carte n° 24014); ces derniers distinguent donc [sta] pour le pronom et [stø] pour le déterminant.

Dans de nombreux parlers, les pronoms [sta] et [ste, sti], etc. peuvent être employés seuls, sans autre précision (emploi absolu):

eː pˈeɪ dɛ stɑ ʃ ʀˈɛdo
Les cheveux de celle (litt. cette) sont raides. (ArbazM)

Sinon, ils sont souvent «solidaires» avec l’adverbe déictique de la proximité  [ʃi, si, ʃe, se] (ou  [ʃˈiʎa, ʃia, ʃˈʏʎa, siʎa, sˈɛʎa] à Évolène et à Bionaz). Un déictique du deuxième degré d’éloigne­ment  [la, le] n’apparaît que dans les réponses de l’informatrice d’Isérables.

Dernière révision de cette page: 23.12.2020.