Carte n° 21014: La morphologie de l’article défini pluriel, masculin et féminin

Généralités

En francoprovençal comme dans toutes les langues romanes voisines, l’article défini a les mêmes bases étymologiques que le pronom objet direct de la 3^e personne (< lat. illum, illam, illos, illas). Les cartes correspondantes présentent donc de nombreuses ressemblances. Néanmoins, les formes du pronom ont développé certaines particularités qui n’apparaissent pas pour celles de l’article défini.

Articles définis et pronoms régimes de la 3^e personne: cartes correspondantes.

Corpus

Les occurrences de l’article défini pluriel sont nombreuses dans nos matériaux: environ 950 attestations, formes masculines et féminines confondues (environ 40 occurrences pour chaque parler). Dans le tableau des formes, nous indiquons les consonnes de liaison [z, ʒ] lorsque les seules attestations disponibles pour une forme donnée se trouvent en position prévocalique. En soi, la question des consonnes de liaison n’est pas pertinente pour l’analyse de la morphologie de l’article défini pluriel.

Relevés antérieurs

Les TP ne contiennent aucun relevé systématique des formes de l’article défini pluriel masculin. Les formes féminines préconsonantiques (col. 22, 27, 85, 161, 168, 173, 178, 227) et prévocaliques (col. 32) sont bien attestées. De ce fait, la tripartition de l’espace valaisan pour la morphologie de l’article défini pluriel telle qu’elle ressort de notre enquête n’y est pas documentée.

Cartographie, analyse

Nos données permettent de distinguer trois zones, valaisannes et adjacentes, pour la morphologie de l’article défini pluriel.

(1) Les parlers du Chablais (Troistorrents, Val-d’Illiez et Vouvry), ainsi que les parlers savoyards voisins (la Chapelle-d’Abondance, Sixt), marqués en vert dans la carte et le tableau des formes, distinguent les formes masculines [lu] (et allophones) des formes féminines [lɪ, le] (et allophones), à la différence du français et des parlers d’oïl qui ont neutralisé l’opposition de genre pour les déterminants au pluriel. Les cinq parlers concernées constituent en fait la pointe nord-orientale d’une grande zone continue qui va des langues ibéro-romanes en passant par l’essentiel des parlers occitans (exception faite du provençal stricto sensu) jusqu’au francoprovençal méridional, de la région de Grenoble jusqu’en Savoie. (Dans la carte ci-dessous, les points isolés de l’espace oïlique qui semblent présenter une distinction des deux genres, d’après le témoignage des cartes dépouillées de l’ALF, demanderaient une analyse spécifique qui ne peut pas être entreprise ici.)

Distinction et neutralisation des deux genres au pluriel de l’article défini en galloroman

(2) Le parler d’Évolène est le seul, à l’heure actuelle, qui maintient en principe un système bicasuel de l’article défini au pluriel, alors que celui-ci est nettement plus répandu au singulier (cf. carte n° 21013): le sujet pluriel masculin possède une forme spécifique, alors que celle du régime se confond avec le féminin, sujet et objet.

Dans notre corpus d’Évolène, notre informatrice fait une distinction parfaite entre le masculin pluriel et le reste du paradigme, dans pratiquement tous les énoncés recueillis:

Notre témoin masculin, en revanche, a abandonné la distinction des formes du sujet et du régime masculin. Sous (ii), les formes [lø] et [lə] du masculin pluriel sont des allomorphes des formes du régime et du féminin:

(3) Tous les autres parlers du Valais central et les parlers valdôtains voisins ne connaissent ni la distinction des genres ni l’opposition casuelle sujet/régime, comme c’est également le cas en oïlique. Étant donné que le Valais central fait partie des régions les plus conservatrices de l’espace francoprovençal et que l’emprise du français en Vallée d’Aoste est certainement plus faible que dans les régions transalpines, nous pensons que la neutralisation du genre, dans ces parlers, n’est pas due à une éventuelle influence du français, mais prolonge la zone lombarde qui connaît le même phénomène.

Dans la majorité de nos parlers, la forme «unique» de l’article défini pluriel est cependant caractérisée par un important polymorphisme: [li, lɪ], [lʏ], [lɛ], [lœ], etc. Comme au singulier (cf. carte n° 21012), cette hétérogénéité résulte sans doute de l’abandon de l’ancienne opposition casuelle, alors que l’éventail des formes disponibles est resté stable. Ainsi, notre informateur d’Hérémence utilise un ancien [lʏ] du cas sujet pour un complément d’objet:

Étant donné l’absence complète d’une norme scolaire ou académique dans nos parlers, il n’y a pas eu la sélection parmi les formes disponibles. Les formes conservées se maintiennent en variation libre; les différents allomorphes n’ont aucune assignation spécifique de nature sociolinguistique (âge, sexe ou groupe social) ou stylistique.

La nature de la consonne de liaison, en position prévocalique ([z], [ʑ] ou [ʒ], etc.), est indiquée à titre documentaire sur la carte. Pour la fonction morphologique de cette consonne, cf. la carte n° 21016.

Dernière révision de cette page: 20.12.2020.