Carte n° 71230: L’expression de la deixis locale (2): «outre» et «en bas»

Les cartes 71220 «L’expression de la deixis locale (1): ‹en haut›» et 71230 «L’expression de la deixis locale (2): ‹outre› et ‹en bas›» documentent l’emploi spontané, relativement fréquent, de particules (en général d’adverbes) à valeur locative dans les parlers étudiés (cf. à ce sujet Diémoz 2016), surtout après des verbes indiquant la direction d’un mouvement, mais aussi après des verbes «statiques» – et même, dans certains cas, à la place d’un verbe. Toutes les tournures attestées ici ont été produites spontanément; elles n’ont pas été sollicitées par les formulations du questionnaire.

Pour certaines tournures très fréquentes qui ajoutent l’adverbe «bas» à un verbe de mouvement («aller bas», «venir bas», «passer bas» ‘descendre’, «tourner bas» ‘redescendre’), on pourrait se demander s’il ne s’agit pas d’expressions lexicalisées. Comme les mêmes verbes peuvent se combiner librement aussi avec d’autres adverbes de lieu («aller en haut», «aller outre»), que la liste des verbes pouvant être utilisés avec ces adverbes semble ouverte («arriver bas», «descendre bas», «donner bas» ‘tomber’, «mener bas» ‘amener en bas’, «partir bas», «prendre bas» ‘faire descendre’, etc.), et que ces mêmes adverbes s’utilisent couramment aussi avec des verbes statiques («travailler en bas, habiter en bas, travailler outre (à la poste, au jardin)», «sautiller (sur place)», etc.), cette interprétation ne s’impose pas.

D’un point de vue lexical, tous les parlers valaisans et les deux parlers savoyards enregistrés utilisent l’adverbe «bas» pour désigner le mouvement descendant ou la localisation considérée comme relativement «basse» par les locuteurs. Ce n’est qu’en Vallée d’Aoste qu’on trouve également l’adverbe [dzo, dʒʏ], seul employé à Torgnon, en concurrence avec [bɑ] à Bionaz.

Quant à l’adverbe de lieu «outre» qui désigne un mouvement considéré comme horizontal ou une localisation sur un même plan que le locuteur, il est sans équivalent en français. Le français régional valaisan possède bien une tournure spécifique (en-là) qui permet d’exprimer cette notion et qui correspond aux formes dialectales du type [lʏ, ʎa, ʎʋ] attestées dans les parlers du Chablais, mais nous n’avons pas voulu l’utiliser dans notre questionnaire pour ne pas imposer une précision déictique à nos informateurs. Toutes les attestations sont donc spontanées, et tous les parlers ne sont pas représentés dans nos matériaux.

On remarque que «outre» peut également se combiner avec «bas», pour une précision déictique complexe, dans un énoncé de l’informateur de Savièse:

ɪ trˈɑːl ˈʊtre bɑ a ʋˈeɲə
Il travaille outre bas à la vigne.

Dans ce cas précis, les deux adverbes sont utilisés avec un verbe statique, mais l’emploi avec un verbe de mouvement du type «il va outre bas» serait tout aussi possible.

Signalons enfin que «outre» a également développé un sens temporel ‘pendant, vers, jusqu’à’ qui apparaît dans un énoncé de notre informateur d’Arbaz:

aprˈɪ  ʒe amˈen eŋ sˈŋna - tãŋk ˈytrə pe ɪ dʒe ʒ ˈøyrɛ
(Les vaches) Après, on les amène en souper .. jusqu’à vers (litt. outre par) les dix heures.

Le nombre d’occurrences, dans le tableau des formes, est donné à titre purement indicatif. Il reflète certaines préférences personnelles des informatrices et informateurs, mais ne prétend à aucune pertinence statistique.