Carte n° 62110: «… que je me lève». Morphologie et emploi du subjonctif présent, 1^re personne du singulier

Généralités

Les cartes n° 62110 «que je me lève» et 62120 «que je mange» explorent la morphologie du subjonctif présent pour deux verbes issus de la 1^re conjugaison latine en ‑āre: le premier («lever») avec un radical non palatalisant (conjugaison 1A), le deuxième («manger») avec un radical palatalisant (conjugaison 1B). Malheureusement, la documentation à ce sujet est très incomplète dans les enquêtes géo­linguistiques antérieures à la nôtre (ALF, TP); les formes de la conjugaison 1A ne sont pas attestées.

Corpus

La carte n° 62110 a été établie sur la base des deux énoncés «Mon père veut que je me lève à six heures» et «Mon père voulait toujours que je me lève à six heures» du questionnaire commun aux femmes et aux hommes. Même si certains informateurs ont répondu par des reformulations («… il veut que je sois levé», «… veut me faire lever», «… que je me réveille», etc.), la forme verbale recherchée a été recueillie au moins une fois dans chaque point d’enquête. 

Analyse

1. Les réponses obtenues montrent que la concordance des temps, c’est-à-dire l’opposition «présent» / «passé» dans l’emploi du subjonctif en fonction du temps du verbe principal a été abandonnée, dans la majorité des parlers au profit des formes étymologiques du plus-que-parfait du subjonctif latin qui expriment désormais le subjonctif sans indication temporelle et peuvent donc être utilisées même après un verbe principal au présent.

2. Seuls les parlers du Chablais (Vouvry, Troistorrents, Val-d’Illiez) utilisent des formes du type [ləvˈɑj, levˈajɔ] qui correspondent à un présent du subjonctif étymologique de la 1^re conjugaison latine, avec un [j] d’origine analogique comme morphème du subjonctif. (Selon Fankhauser 1911: §192s., dans les parlers du Val d’Illiez, ces formes coexistaient avec des formes en [s]; voir ci-dessous et carte n° 62130.)

3. Tous les autres parlers étudiés utilisent des formes en [s] ou [ʃ] ( [aʃ, as], [os],  [eʃ, es; øʃ, øs], [iʃ, is; ʏʃ]) qui remontent au plus-que-parfait du subjonctif latin, mais expriment désormais le subjonctif sans indication temporelle (cf. la carte 63300).

• Les formes attendues pour un verbe de la conjugaison 1A (formes en ‑[ˈɑs/'ɑʃ] : [ləvˈɑs],  [ɛˈaʃ] avec chute de [l] et [v] étymologiques à Nendaz, etc.) ne se trouvent pourtant que dans quatre parlers (Isérables, Lourtier, Nendaz, La Chapelle-d’Abondance).
• Les formes en -[ˈoɦ, ˈoh]  de Sixt reflètent vraisemblablement une vélarisation des formes en ‑[ɑs], avec une évolution ultérieure de [s] > [ɦ] caractéristique pour le parler de Sixt. Dans l’idiolecte de notre informatrice, le [h/ɦ] peut ensuite s’amuïr, mais l’accent tonique se main­tient sur le morphème du subjonctif [lɛvˈɔ], ce qui distingue la forme de celle de l’indicatif pré­sent qui est accentuée sur le radical [lˈɛvə].
• Partout ailleurs, on observe des désinences à voyelle tonique en -[es, eʃ]  et surtout en -[is, iʃ, ʏs, ʏʃ] , formes qui se sont propagées par analogie depuis les autres conjugaisons.
• La forme  -[iʃɑʃ, ʏʃɑʃ] de Chalais et de St-Jean pourrait résulter de la propagation analogique d'une forme inchoative du type «finissasse», avec un morphème du subjonctif en [ɑʃ], ou d’un amalgame entre la forme étymologique en -[ɑʃ] et les formes analogiques en -[iʃ].

4. Dans plusieurs parlers (Chamoson, Conthey, Lens) nous avons recueilli des réponses à l’indicatif à côté des formes du subjonctif. Le même phénomène se trouve pour un plus grand nombre de parlers sur d’autres cartes qui étudient la morphologie du subjonctif (carte n° 62210 pour la 2^e personne du singulier: Fully, Chamoson, Conthey, Miège, St-Jean, Isérables, Val-d’Illiez; carte n° 62310 pour la 3^e personne du singulier: Chamoson, Conthey, Lens, Miège, Chalais, St-Jean, Lourtier, Val-d’Illiez), le plus souvent en alternance avec les formes du subjonctif dans les mêmes parlers. Nous pensons que ces formes indiquent que nos parlers ont gardé une certaine liberté de choisir le mode subjonctif ou indicatif après un verbe exprimant la volonté, selon le degré d’insistance sur le désir de réalisation du souhait.

Pour l’emploi des temps et des modes après les verbes de la volonté, cf. aussi les cartes n° 63100, 63200 et 63300.