Carte n° 52230: Verbes irréguliers: «avoir», 2e personne singulier de l’indicatif imparfait (subordonnée temporelle)
Corpus
La 2e personne singulier de l’indicatif imparfait d’«avoir» a été relevée dans l’énoncé «Qu’est-ce que tu t’achetais quand tu avais de l’argent?» du questionnaire commun aux deux sexes. Tous les témoins ont répondu, mais en utilisant le présent dans trois cas (LiddesF, MiègeM, St-JeanM) et une fois en utilisant la 2e personne du pluriel, forme de politesse (La Chapelle-d’AbondanceF). L’informatrice de Montana a remplacé la subordonnée temporelle par une hypothèse («si tu avais»), en utilisant la forme du subjonctif. Malgré ces «défections», la forme est attestée au moins une fois pour chaque parler.
Pour le verbe de la première partie de l’énoncé («tu achetais»), cf. la carte n° 52210.
Relevés antérieurs
La 2sg de l’indicatif imparfait d’«avoir» fait l’objet de la carte n° 94 de l’ALF «tu avais raison». Les formes de l’imparfait d’«avoir» ne sont pas citées dans l’article correspondant de GPSR 2: 159s., qui se contente de renvoyer aux TP. Ces derniers ne documentent que les formes de la 1re et de la 3e personne du singulier (col. 211 et 14).
ALF carte n° 94 «tu avais raison»
Cartographie
Pour cartographier la 2sg de l’imparfait d’«avoir», nous avons adopté les mêmes symboles pour les trois éléments qui composent la forme à l’origine, d’après son étymologie (< lat. habēbas): radical (lat. hab- > av-), morphème de l’imparfait (‑ēb- > ‑ev-), désinence (‑as > ‑a), modifiés ensuite par des évolutions phonétiques et de nombreuses transformations d’origine analogique. Par les formes et les couleurs, nous distinguons trois fois trois séries, en réduisant la variété des voyelles attestées à trois degrés d’aperture, sans distinguer les deux séries de voyelles antérieures, non arrondies et arrondies ([i]/[y], [e]/[ø], etc.), ce qui correspond au polymorphisme non fonctionnel observé dans les formes enregistrées. La position du triangle (pour le [‑v-]), du point (pour le [‑j-]) et du trait (pour la voyelle seule) symbolise grossièrement le degré d’aperture de la voyelle:
– formes en [v, ʋ, w]: [av, ɑv, aʋ, æʋ], [ev, ɛv, eʋ, ɛʋ, œv], [iv, iʋ, ʏv], etc.
– formes en [j], résultant d’un évitement de l’hiatus après la chute d’un [v] intervocalique: [aj, ɑj], [ej, ɛj], [ij, ɪj].
– formes purement vocaliques, résultant de l’amuïssement d’un [v] intervocalique: [a, æ, ɐ, ɑ], plus rarement aussi avec une vélarisation en [ɒ, ɔ], [e, ɛ, ø, , œ, ə], et [i, ɪ, y, ʏ].
Analyse
1. En principe, l’imparfait d’«avoir» correspond à la conjugaison d’un verbe régulier de la 2e conjugaison latine en ‑ēre (< lat. habēbam, habēbas, etc.). Or on sait que par chute du h- initial, l’évolution de -b- intervocalique à [v] et une dissimilation des deux -v-, en latin parlé populaire déjà, on trouve des formes réduites du type avēa (cf. p.ex. Rohlfs II: §550).
2. Des formes trisyllabiques de ce type, mais transformées de manière analogique (passage de la 2e conjugaison à la 1re, désinence modifiée), se conservent à Isérables: [t ɑʋˈɑɛ] , [t ɑʋˈɑʏ] . Une forme trisyllabique comparable se trouve aussi à Torgnon [t ɐvˈie] , avec un morphème analogique de l’imparfait en [i] .
3. Très souvent, on observe la chute de la désinence de la 2e personne du singulier, avec maintien ou modification (analogique ou par évolution phonétique) de la voyelle tonique de la désinence, ce qui produit des formes bisyllabiques accentuées sur la voyelle finale: Évolène [t avˈiː] , [t avˈe] , Fully [t aʋˈɛ] , [t aʋˈæ] , Troistorrents [t avˈa, t aʋˈæ] , etc.
4. Dans une évolution ultérieure, la chute du [v] intervocalique dans de nombreux parlers valaisans peut produire des formes très réduites, purement vocaliques: ArbazF [t øˈe] , Conthey [t ˈa] , [t aˈɪ] , LensM [t aˈʏ] , MontanaM [t aˈi] , etc.
5. À Lourtier, ces formes bisyllabiques peuvent ensuite se monophtonguer: [t e, t ] , par chute ou assimilation de la voyelle atone du radical. De la forme trisyllabique du latin parlé populaire avēa il ne reste donc plus que la voyelle tonique de la désinence, issue de surcroît, selon l’analyse de Bjerrome 1957: 93s., d’une analogie avec le paradigme des verbes en -āre.
6. Dans certains parlers, la chute du [v] intervocalique du radical peut être compensée par l’introduction d’un [j] de transition qui permet d’éviter l’hiatus: Bionaz [t ɑj'ʏ] , [t ajˈ] , NendazF [t ajʏ] , St-JeanF [t ajˈe] , etc.
7. Dans la chaîne parlée, il n’est pas possible de déterminer l’emplacement de la syllabe tonique pour toutes les formes recueillies.