Carte n° 51620: Verbes en -āre à radical palatalisant: «manger», 3^e personne pluriel (3pl) de l’indicatif présent

Les cartes n° 51605 à 51685 documentent la morphologie de la 3pl de l’indicatif présent. Elles sont à comparer avec les cartes 51420 à 51490: en effet, pour certains verbes, les désinences de la 1^re et de la 3^e personne du pluriel tendent à être identiques ce qui, en l’absence d’un clitique sujet, facultatif, peut poser des problèmes d’identification des formes. Pour faciliter la comparaison, nous utilisons les mêmes symboles pour identifier les désinences individuelles des deux séries.

Corpus

La carte n° 51620 s’appuie sur les données provenant de quatre énoncés: «Quatre cerfs mangent le long de la forêt» (questionnaire commun), «À quatre heures, les enfants mangent des pommes» et «Comme dessert, mes cousines mangent des myrtilles» (questionnaire féminin) et «Si les vaches mangent certaines herbes, elles gonflent» (questionnaire masculin). Même si, en parlant des animaux, plusieurs verbes ([brɔhˈɑ] ‘brouter’, [mɑːʃjˈɛ] ‘manger, en parlant des bêtes’, [pəkˈɑ] ‘piquer’) entrent en concurrence avec le type lexical attendu, à savoir les descendants de lat. mandūcāre (ou plutôt *mindūcāre, dans nos parlers; voir ci-dessous), nous avons pu recueillir 75 attestations en tout. Tous les parlers sont attestés.

Relevés antérieurs

La 3pl de l’indicatif présent de «manger» n’a pas été relevée par les enquêtes géolinguistiques antérieures à la nôtre (ALF, TP); pour l’infinitif, cf. nos cartes n° 41210 et 41211.

Cartographie, analyse

Remarque concernant la base verbale

Les parlers francoprovençaux appartiennent au grand espace dialectal galloroman dont les formes pour «manger» présupposent une base latine *mindūcāre – dont l’origine reste inexpliquée (cf. FEW 6/1: 176b) – à la place du latin classique mandūcāre, d’où les formes du type [mˈĩz, mˈz, mˈdz], etc., et avec dénasalisation de la voyelle du radical, [mˈydz, mˈødz, mˈədz, etc. attestées dans nos matériaux. La seule occurrence dans notre corpus d’une forme en [] chez l’informateur de Chalais illustre sans doute une influence sporadique du français; pour la forme de l’infinitif (carte n° 41210), le même locuteur alterne entre des formes en [] et en [] ([mzjˈœ, mɑndʒjˈɛ]).

Remarques concernant les désinences

• Comme pour les autres verbes étudiés (cartes n° 51605, 51611, 61650, etc), la principale désinence de la 3pl, selon nos matériaux, est ‑[] , parfois réalisée avec un appendice nasal -[n] ou -[ɔn], plus rarement aussi dénasalisée. Elle est attestée dans 23 parlers sur 25, souvent seule, parfois aussi en concurrence avec d’autres formes.

• La désinence -[] n’apparaît que dans nos deux parlers savoyards ainsi qu’à St-Jean.

• La désinence ‑[] , isolée sur cette carte (une seule attestation à Lens) se trouve assez régulièrement dans certains parlers orientaux (cf. en particulier la carte n° 51650), souvent en concurrence avec -[].

• À la différence de la désinence de la 1pl (cf. à ce sujet le commentaire de la carte n° 51422), la désinence de la 3pl des formes verbales plurisyllabiques ne porte jamais l’accent tonique. C’est ce qui pourrait expliquer l’apparition d’une désinence «affaiblie» ‑[ɛn], -[ən] voire dénasalisée -[œ ], -[ə] (5 attestations, toujours en concurrence avec -[]) et l’amuïssement sporadique complet de la désinence  qui se manifeste facultativement avec plusieurs verbes de notre corpus (cf. les cartes n° 51605, 51611, 51650, 51672).

• Il n’est pas exclu que la désinence ‑[ỹ] que nos matériaux, ici, attestent uniquement pour Évolène, reflète également une forme affaiblie de la désinence de la 3pl. Cette forme ne se limite pas au paradigme de «manger»: on la retrouve à la 3pl de «venir» (carte n° 51640) et de «sortir» (carte n° 51650). Elle ne s’explique donc par une influence de la voyelle [ỹ] du radical de [mỹʒjɛ] ‘manger’ sur la désinence.