Carte n° 51330: «elle a». La 3^e personne du féminin singulier (3sg.f) de l’indicatif présent d’«avoir»: forme du verbe; forme et emploi du clitique sujet

Généralités

La carte n° 51330 fait partie d’un ensemble de 4 cartes (51330, 51332, 51334, 51336) qui documentent les différents emplois de la 3^e personne du singulier de l’indicatif présent d’«avoir», au féminin, masculin et neutre, le cas échéant avec leurs clitiques sujets. Ces cartes sont complémentaires des cartes n° 33050, 33051, 33060 et 33061 consacrées aux formes et à l’emploi des clitiques sujets devant verbe à initiale vocalique: dans nos matériaux, les attestations pour les verbes «être» et «avoir» constituent en effet le sous-ensemble le plus important des verbes à initiale vocalique.

Corpus

Avec 603 occurrences (une vingtaine en moyenne par parler), le féminin «(elle) a» employé seul ou après un substantif féminin singulier, au présent ou au passé composé, est fréquent dans nos enregistrements.

Relevés antérieurs

L’ALF documente la 3sg.f du présent d’«avoir» dans la carte n° 431 «l’eau a (emporté l’écluse)». La carte n° 1710 «elle a été bien soignée» est inutilisable ici à cause de la substitution des verbes auxiliaires «elle a été» ⇒ «elle est eue» dans plusieurs parlers. Sur 14 colonnes des TP reflétant la 3sg du présent d’«avoir», trois fournissent des séries complètes d’attestations pour le féminin. Nous en reprenons deux ici; la troisième (col. 266) n’apporte pas d’information supplémentaire. En regard, nous reproduisons deux exemples concernant le masculin. Cela permet d’illustrer le fait qu’au début du XX^e siècle déjà, le clitique sujet était identique pour les deux genres dans la plupart des parlers.

Les TP induisent légèrement en erreur en suggérant que chaque parler (à l’exception de celui de St-Gingolph) utilise soit toujours soit jamais le clitique sujet avec «avoir», que le verbe soit précédé d’un sujet nominal ou non. Même si cette tendance existe, l’emploi facultatif est bien attesté dans nos matériaux pour plusieurs parlers (cf. en particulier les chiffres pour Chamoson et St-Jean dans le tableau des formes).

D’un point de vue morphologique, l’ALF ne recense aucun exemple du clitique sujet [j] caractéristique pour plusieurs parlers de l’Est valaisan. En revanche, il documente la forme particulière du féminin [d] dans les parlers de la haute vallée d’Entremont qui manquent dans les points d’enquête des TP. Les TP montrent bien la existence parallèle des clitiques sujets [l] et [j] dans l’espace valaisan, mais ne documentent ni la forme spécifique du féminin [d] apparaissant à Liddes ni – surtout – le polymorphisme du clitique et du verbe qui est fréquent dans nos matériaux.

ALF carte n° 431 «l’eau a (emporté l’écluse)»
emplois féminins: TP col. 326 «(cette fillette) a fait (sa prière)» et col. 328 «elle a sommeil»	emplois masculins: TP col. 448 «(le chasseur) a vu» et col. 243 «il a bu»

Cartographie, analyse

• Observations concernant le clitique sujet (cf. aussi la carte n° 33050)

Les parlers observés forment quatre groupes, sans continuité territoriale très nette.

— Dans 3 parlers au centre du domaine (Arbaz, Conthey et Lourtier), seul le clitique zéro est attesté. Quant aux formes d’Arbaz avec leur [l] initial agglutiné , cf. la discussion dans le commentaire de la carte n° 33060; à Arbaz, ce [l] seul , après l’amuïssement de la voyelle, peut même faire office de forme verbale «elle/il a».

— 5 parlers de l’est valaisan (Lens, Montana et Miège sur la rive droite du Rhône, Hérémence et Nendaz sur la rive gauche) ainsi que Torgnon possèdent un clitique sujet [j] (avec quelques variantes: [i, ij, e, ej, ɛj] ). Celui-ci est utilisé dans toutes les attestations à Lens, Montana et Torgnon; Miège, Hérémence et Nendaz possèdent en outre un clitique sujet zéro rare , même en l’absence d’un sujet nominal.

— Une majorité de 14 parlers (11 valaisans, Bionaz et La Chapelle-d’Abondance) utilise un clitique sujet [l] (avec quelques variantes plutôt rares: [l] , [el, ɛl] , [œl] , sauf à Sixt où [il/ɪl] est la forme dominante). Celui-ci apparaît dans toutes les attestations à Bionaz, Chalais, Évolène, Isérables, Orsières, Sixt et aux Marécottes. À Savièse, Chamoson, Fully, Troistorrents, Val-d’Illiez, Vouvry et La Chapelle-d’Abondance, nos données attestent en outre un emploi (rare) du clitique zéro .

— Font bande à part le parler de Liddes qui possède un clitique sujet féminin spécifique et généralisé [d] ainsi que celui de St-Jean où [l] , [j] et rarement [ʎ] sont en concurrence avec plusieurs attestations du clitique sujet zéro .

Rappelons que seuls trois parlers (Évolène, Liddes et Sixt) distinguent les formes du clitique sujet féminin et masculin .

• Observations concernant la forme verbale

À l’instar de ce qui peut être observé pour d’autres formes verbales (cf. par exemple la carte n° 41110), la zone de réalisation phonétique du «a» de «elle/il a» est relativement large: dans de nombreux parlers, elle va de [æ] à [ɑ] ou de [a] à [ɒ/ɔ]. À cela s’ajoute assez souvent une réalisation centralisée [ɐ], voire même [ə] ou [œ]. En général, il s’agit d’une variation libre, non prévisible et non conditionnée par le contexte phonique.

Dans certaines attestations, cependant, on observe un réel phénomène d’harmonisation vocalique qui va au-delà de cette variation de base. C’est le cas lorsque le [a] s’ouvre à [ɛ] devant une voyelle fermée ou de moyenne aperture (et se confond ainsi phonétiquement avec la 3sg du verbe «être»), surtout dans les parlers qui amuïssent le [l] de l’article défini:

l e ʑ ɥøs pˈiːrə (Arbaz)
Elle a les yeux bleus.

lɛː ɪ ʑ ɥˈøsə br (Arbaz)
Elle a les yeux bruns.

l ɛ - l ɛ ɛ pɔt dzəʁsˈɑa (Isérables)
Elle a .. elle a les lèvres gercées.

ɛ ɪ z wa bl (Lourtier)
Elle a les yeux bleus.

 le z jʏ pɛːr (Miège)
Elle a les yeux bleus.

j ɛ ɛ ʒ wø vɛ (Nendaz)
Elle a les yeux verts.

l ɛ ː -  pˈɔsə tˈɔtɛː m- tɔt ekʎafˈɑ (Savièse)
Elle a les .. les lèvres toutes euhm .. tout éclaffées.

De là, ces formes en [ɛ] peuvent cependant se propager aussi à des contextes où rien ne justifie leur emploi, brouillant ainsi complètement la distinction entre les formes d’«être» et d’«avoir»:

j ɛ na tˈɑøj ðʲɛ ɣuˈeːfa (Miège)
Elle a une taille de guêpe.

w ɪ kwˈifɑ l  ˈ rybˈn tɑ k lɑ (Savièse)
Oui la coiffe elle a un ruban jusqu’ici.