Carte n° 51120: Verbes en -āre: «bâiller», 1re personne singulier de l’indicatif présent, morphologie de la désinence
⇒ Pour les généralités s’appliquant à toutes les cartes consacrées à la morphologie de la 1re personne singulier de l’indicatif présent (n° 51110 à 51190), voir la fin du commentaire.
Corpus
La carte présente les données provenant de la phrase «Je bâille parce que je suis fatigué(e)» du questionnaire commun (témoins féminins et masculins). Il n’a pas été possible d’obtenir la forme voulue de tous les témoins: certains ont répondu en utilisant des reformulations telles que «je dois bâiller…» ou «j’ouvre la bouche».
Cartographie
La carte se concentre sur le vocalisme de la désinence et contribue à l’étude de l’emploi du clitique sujet de la 1re personne. La carte superpose ainsi deux informations :
– la présence ou l’absence du clitique sujet dans l’énoncé; le trait à gauche du symbole principal indique l’emploi du clitique sujet;
– la nature de la désinence (présence ou absence; qualité de la voyelle).
Pour les évolutions phonétiques qui caractérisent le radical du verbe (différents aboutissements du -l- palatalisé du latin parlé populaire tardif batac(ŭ)lāre ‘bailler’ > [bˈɑːʎɔ, bˈalɔ, bˈɑʟɔ, bˈɑjɔ, bˈɑaːdʊ] cf. le tableau des formes attestées.
Examen
La voyelle dominante de la désinence de la 1re personne du singulier est [o] ou [ɔ], conformément à son étymologie latine, avec une possible centralisation en [] ou une fermeture de la voyelle en [ʊ] (29 occurrences).
Les désinences en [ʏ, ø, œ] ou [ə] ne sont pourtant pas rares (11 occurrences). Ces formes à voyelle antériorisée peuvent coexister avec les formes «étymologiques». Leur répartition géolinguistique laisse penser qu’elles se sont développées au centre du domaine, et ont commencé à refouler les formes en [o, ɔ].
Une forme en [ɛ] est isolée sur cette carte, mais se retrouve sporadiquement aussi pour d’autres verbes à la 1re personne du singulier (cf. cartes 51110, 51130, 51167).
L’amuïssement de la désinence vocalique de la 1re personne du singulier est rare (3 occurrences sur 44 formes verbales attestées).
L’emploi du clitique sujet semble indépendant de la présence d’une désinence vocalique qui, en principe, suffirait à elle seule à marquer la 1re personne du singulier. Des formes avec et sans clitique sujet coexistent dans plusieurs parlers (Les Marécottes, Nendaz, Orsières, Troistorrents), pour des énoncés par ailleurs identiques. Dans l’ensemble des parlers, pour le verbe étudié ici, son emploi est légèrement plus fréquent que son non-emploi. Emploi et non-emploi sont cependant présents dans l’ensemble de l’espace dialectal valaisan et ne semblent présenter aucune répartition géolinguistique spécifique.
Généralités concernant toutes les formes verbales à la 1re personne singulier de l’indicatif présent (cartes n° 51110 à 51190)
Dans les descriptions «classiques» du francoprovençal (cf. p.ex. Martin 1990: 682), la morphologie verbale est décrite comme étant caractérisée par la conservation de la désinence -o de la 1re conjugaison latine à la 1re personne singulier de l'indicatif présent (lat. canto > fp. [tsˈtɔ]), étendue ensuite à toutes les conjugaisons et à d’autres temps verbaux. La 1re personne se distinguerait ainsi des 2e et 3e personnes du singulier selon le schéma «1re pers. ≠ 2e pers. = 3e pers.». Pour un verbe irrégulier tel que «venir», la conjugaison «canonique» serait donc du type 1sg [vˈəɲɔ] ≠ 2sg [v] = 3sg [v] ‘je viens ≠ tu viens = il vient’. La forme caractéristique du verbe à la 1re personne pourrait ainsi contribuer à expliquer la nature facultative du clitique sujet correspondant dans un grand nombre de parlers valaisans (cf. Marzys 1964: 22 et nos cartes n° 31021 et 31031). Dans nos matériaux, cette question est abordée pour le paradigme du verbe «voir» aux trois premières personnes du singulier (cartes n° 51190, 51220, 51320) ainsi que pour le paradigme du subjonctif présent (cartes n° 62110, 62210 et 62310).
Dans les parlers de notre réseau d’enquêtes, la situation réelle est cependant bien plus complexe, raison pour laquelle nous l’étudions ici pour huit verbes à la 1re personne du singulier: trois verbes issus de la 1re conjugaison latine en -āre (cartes n° 51110, 51120, 51130), un verbe de la 4e conjugaison latine en -īre (cartes n° 51140 et 51141) et huit verbes irréguliers (cartes n° 51150 à 51190). Nous y abordons d’une part la nature de la désinence qui n’est pas toujours [ɔ] (ou une voyelle vélaire proche de [ɔ]: [ʊ, , o, , ]). Relativement souvent, elle se centralise ou se palatalise en [ʏ, ø, œ, ə], voire même en [e, ɛ] ou s’amuït complètement. D’autre part, nous y examinons une éventuelle corrélation entre la nature de la désinence, la forme morphologiquement marquée ou non du radical verbal des verbes irréguliers et la présence du clitique sujet.
Pour garantir une bonne lisibilité des cartes, lorsque cela s’avère nécessaire, nous scindons l’information en deux et la présentons sur deux cartes, d’une part pour les formes du radical verbal, et d’autre part pour les formes de la désinence et l’emploi des clitiques sujets.
«je bâille»: la désinence d’un verbe régulier de la 1re conjugaison
[ʊ, , o, , ɔ, ]
[ʏ, ø, œ, ə]
[ɛ]
sans désinence vocalique
présence d’un clitique sujet
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Verbes en -āre: «bâiller», 1re personne singulier de l’indicatif présent, morphologie de la désinence
parler de
témoin féminin
témoin masculin
1
Arbaz
bˈɑːl
bˈɑːl
2
Bionaz
œ bˈɑʎo
zə bˈɑːʎʊ
3
Chalais
--
jo bˈɑjø
4
Chamoson
bˈɑjə
-
5
Conthey
--
nʊ bˈɑːjɔ
6
Évolène
jɔ bˈaːj
jɔ bˈɑʎɔ
7
Fully
i bɑj
e bˈɑjə
8
Hérémence
bˈɑʎɔ
bˈɑʎ
9
Isérables
jo bˈaːl
jo bˈɑːjo
10
La Chapelle-d’Abondance
ðə bɑːj
d bˈɑːje
11
Lens
-
bˈɑːʎʊ
12
Les Marécottes
bˈɑːjʏ
jo bˈɑːjʏ
parler de
témoin féminin
témoin masculin
13
Liddes
jʏ bˈɒːj
jɪ bˈɑːjø
14
Lourtier
-
jø bˈɑːlʏ
15
Miège
jo bˈɑejo
j bˈɑjɔ
16
Montana
bˈɑːʎɔ
bˈɑːʎ
17
Nendaz
jɔ bˈɑʎø
bˈɑːʲə
18
Orsières
i bˈɑaːdʊ
bˈaːjə
19
St-Jean
jɔ bˈɑʟɔ
jɔ bˈɑːʟːɔ
20
Savièse
bˈɑl
bˈɑl
21
Sixt
dœ bˈɑɪ
-
22
Torgnon
dø bˈoːʎɔ
dzø bˈoːʎɔ
23
Troistorrents
e bˈaːjo
bˈaːlːo
24
Val-d’Illiez
e bˈalɔ
bˈaʎ
25
Vouvry
bˈɑlə
bˈɑlɔ
Fréquence globale des différents types de marquage morphologique
Marquage morphologique zéro
∅ - base - ∅
0
Marquage morphologique simple (a), désinence: [bˈɑːl, bˈɑjə], etc.