Carte n° 42211: Verbes en -āre à radical palatalisant (conjugaison 1B): le participe passé de «manger». (2) La forme de la désinence

Les cartes n° 42110 à 42220 documentent la morphologie du participe passé des verbes réguliers de la 1^re conjugaison (< lat. ‑ātu, ‑āta) selon la bipartition de ces verbes qui est caractéristique pour le francoprovençal:

– les cartes n° 42110, 42120 et 42130 (*assēdĭtātu, *assedĭtāta ‘assis, assise’) et 42140 («compté») pour des verbes sans radical à effet palatalisant (conjugaison 1A),

– les cartes n° 42150, 42151 et 42152 («tiré»), 42210, 42211 et 42212 («mangé») et 42220 («baillé» ‘donné’ < lat. bajulātu) pour les verbes dont le radical exerce une influence palatalisante (conjugaison 1B).

Corpus

Les cartes n° 42210, 42211 et 42212 «mangé» sont complémentaires. Elles utilisent les mêmes données, provenant de l’énoncé «Le renard a mangé deux poules» du questionnaire commun aux deux sexes, ainsi que de trois énoncés du questionnaire féminin: «Des châtaignes, j’en ai eu mangé», «J’ai mangé de la confiture de groseilles» et «Si j’avais chassé la chèvre du jardin, elle n’aurait pas mangé mes laitues». La forme voulue est attestée au moins une fois dans tous les parlers à l'exception de Chalais, malgré plusieurs lacunes dues à l’emploi de verbes alternatifs pour «manger»: [pekˈɑ] ‘manger, surtout pour les animaux mais aussi pour les humains’ (17 occurrences), [maʃjˈɛ] ‘manger, en parlant des bêtes’ (Évolène).

Relevés antérieurs

Le participe passé «mangé», verbe type pour la conjugaison 1B, fait l’objet de la col. 214 «j’ai mangé (du pain)» des TP. Les formes recueillies illustrent en bonne partie la diversité formelle de son radical – et une grande homogénéité apparente de sa désinence qui n’est pas entièrement confirmée par la carte 809 de l’ALF – dans les parlers valaisans.

TP col. 214 «j’ai mangé (du pain)»	ALF carte n° 809 «mangé» (quand elles ont - trop de trèfle)

Cartographie, analyse

Pour une meilleure lisibilité des cartes et pour faciliter la comparaison entre les différents types de conjugaison (et les formes de l’infinitif), nous avons séparé l’information sur la forme du radical verbal d’une part (carte n° 42210) et sur la forme de la désinence de l’autre (ici, carte n° 42211). La carte n° 42212 présente la synthèse des deux cartes précédentes.

Les désinences du participe passé de «manger» dans les parlers documentés correspondent dans leur quasi-totalité aux formes attendues pour un verbe de la conjugaison 1B (cf. les formes analogues de «tiré», carte n° 42151): elles remontent à la forme palatalisée mengier, mengié attestée en ancien francoprovençal (cf. Hafner 1955: 63s.).

– Les désinences [-iˈa, -ja] sont le résultat attesté depuis l’ancien francoprovençal pour les participes en -ātu après radical palatalisant (Hafner 1955: 65s.). Dans nos parlers, elles ne se confondent pas avec le résultat de la conjugaison 1A (cf. les cartes n° 42110 et 42140): leur [a] peut se centraliser en [ɐ], mais ne se vélarise pas en [ɑ] > [ɔ].

– Les désinences [jˈɐ] et [jˈœ], etc. reflètent sans doute la tendance phonétique bien documentée dans les parlers valaisans de centraliser toutes les voyelles antérieures et postérieures, en l’occurrence, ici, les [a, ɑ] étymologiques.

– La désinence [ʊ] n’est attestée qu’à Bionaz dont le parler a généralisé de manière analogique la désinence [ʊ] de la conjugaison 1A à la plupart des verbes de la conjugaison 1B.

– Vraisemblablement, les désinences [je, jɛ] qui apparaissent à Isérables, Lourtier et Sixt à côté des formes en [ja] ne sont pas étymologiques même si [je, jɛ] est le stade antérieur, en ancien francoprovençal, de [-iˈa, -ja]. Plutôt que d’y voir une conservation des formes anciennes à côté du résultat actuel, nous pensons qu’elles s’expliquent de manière analogique par la forme de l’infinitif dont la désinence [je, jɛ] est régulière pour des verbes de la conjugaison 1B (cf. carte n° 41211). Quant aux formes en [i], [e] et [iˈe] de Torgnon, elles correspondent également aux désinences de l’infinitif de la conjugaison 1B (cf. cartes n° 41211 et 41230).

– À la différence de ce qui s’observe pour les formes du participe passé de «tirer» où le [i] ou [j] est conservé dans toutes les attestations, on constate que dans certains parlers ([mʏdʒˈa]) à Chamoson, [mdzˈa] à Fully, [mĩdʒʲˈɑ] à Savièse, etc.), le [j] étymologique qui résulte de l’évolution de la désinen­ce ‑ātu après radical palatalisant est à peine audible ou a été résorbé par la consonne finale du radical.