Carte n° 33210: L’emploi du clitique sujet devant un pronom objet, à l’exemple du passé composé du verbe réfléchi, 3^e personne du singulier

Généralités

La carte n° 33210 contribue à l’étude de la question hautement controversée de l’emploi du clitique sujet dans les parlers valaisans et voisins (cf. p.ex. Marzys 1964, Favre 1982, Heap 2000, Diémoz 2007, Savoia/Manzini 2010, Hinzelin/Kaiser 2012, Kristol 2009, 2017, 2018), en l’occurrence ici en fonction de la présence d’un pronom régime devant le verbe. Étant donné que plusieurs parlers valaisans font un usage plutôt parcimonieux des pronoms objets (cf. les cartes n° 33200, 33202 et 36200), l’emploi du pronom réfléchi – qui est plus difficilement omis que les autres pronoms objets – constitue à ce sujet un cas de figure légèrement privilégié.

Corpus

La carte a été élaborée sur la base de sept énoncés du questionnaire, dont six du questionnaire commun s’adressant aux deux sexes: «Une coccinelle s’est posée sur sa main», «Il s’est cogné le pied», «Il s’est planté une épine dans la plante du pied», «Le garçon s’est cassé la jambe», «La mère s’est assise sur le bord du lit», «Le trayeur s’est assis sur une chaise à traire» et un du questionnaire masculin: «Une hirondelle s’est posée sur le faîte du toit». En tout, nos matériaux pourraient ainsi comprendre un maximum de 13 attestations par parler, mais les reformulations qui évitent les tournures réfléchies sont fréquentes dans de nombreux parlers (cf. les nombreuses cases vides dans le tableau des formes).

Relevés antérieurs

La forme réfléchie du passé composé est attestée dans la carte n° 1662 «Elle s’est pendue» de l’ALF. Les TP ne documentent la forme réfléchie qu’à l’infinitif (col. 311 «se taire») et au présent (col. 335 «(mon frère) s’ennuie).

Carte ALF n° 1662 «elle s’est pendue»

Cartographie, analyse

Le nombre d’occurrences disponibles dans nos matériaux pour les quatre cas de figure envisagés (emploi ou non-emploi du clitique sujet devant pronom réfléchi, en présence ou non d’un sujet nominal) est trop bas pour être statistiquement significatif. Nous nous contentons donc de documenter ici les différentes tournures attestées. À cela s’ajoutent quelques phénomènes plus rares:

• la tendance à la réduplication du pronom réfléchi aux Marécottes, à Val-d’Illiez et à Vouvry. (Chez l’informatrice des Marécottes, la réduplication du se est systématique, mais semble idiolectale; elle n’apparaît jamais chez notre témoin masculin.)
• la syntaxe particulière de la phrase réfléchie au passé composé, avec postposition du pronom réfléchi au participe à Bionaz («elle est posée-se» ‘elle s’est posée’, «il est tordu-se» ‘il s’est tordu’), tournure présente également dans d’autres parlers valdôtains (renseignement oral).
• À Arbaz, les phrases réfléchies fournissent un des arguments les plus puissants pour l’interprétation du [l] initial dans l’auxiliaire [le, lʏ] ‘est’ comme consonne désémantisée ayant perdu sa fonction étymologique de clitique sujet (cf. la carte n° 51344). En effet, dans les phrases affirmatives, parmi les langues romanes qui ont développé un clitique sujet, aucune ne peut placer un éventuel clitique sujet entre le pronom objet «se» et le verbe auxiliaire «est», comme ce serait le cas à Arbaz si le [l] de [lʏ] dans [ɛ mɑtˈɔŋ ʃe lʏ brøkˈo ɑ tsˈŋmɑ] ‘Le garçon s’est cassé la jambe’ était interprété comme clitique sujet (un énoncé du type «Le garçon *se il est cassé la jambe» serait agrammatical). On remarque au passage que la présence du [l] initial agglutiné à la 3^e personne du singulier du verbe «être», à Arbaz, est devenue tellement systématique que devant un participe passé à initiale vocalique, la voyelle étymologique du verbe auxiliaire peut s’amuïr complètement (cf. également la carte n° 51344). Ce constat est conforme avec l’observation que le parler d’Arbaz n’utilise pratiquement jamais de clitique sujet à la 3^e personne du singulier, quel que soit le contexte morphosyntaxique (présence ou non d’un sujet nominal, verbe à initiale consonantique ou vocalique, cf. les cartes n° 33031, 33041, 33051, 33061).
• Lorsque, dans l’ensemble ou une majorité des énoncés enregistrés, la forme réfléchie manque dans les réponses des témoins, comme c’est le cas dans nos matériaux de Savièse et d’Isérables, cela pourrait indiquer que dans ces parlers elle est inusitée et que les informateurs concernés possèdent des stratégies grammaticalisées permettant d’éviter la tournure réfléchie. Il se pourrait aussi que dans les deux parlers, la présence très fréquente ou généralisée du clitique sujet [l] devant les verbes à initiale vocalique (cartes n° 33051 et 33061) inhibe l’apparition du pronom réfléchi.