Carte n° 33060: La forme du clitique sujet prévocalique de la 3^e personne du masculin singulier (CS.3sg.m prévoc.)

Généralités

Ce commentaire est en grande partie commun aux cartes n° 33050 (CS.3sg.f prévoc.) et 33060 (CS.3sg.m prévoc.): comme en position préconsonantique (cartes n° 33030 et n° 33040), suite à une évolution déjà attestée au début du XX^e siècle et qui s’est poursuivie au cours du siècle (cf. Kristol 2018), une majorité des parlers valaisans et voisins a neutralisé l’opposition de genre pour les formes du clitique sujet de la 3^e personne du singulier. Les formes du masculin et du féminin sont donc identiques, à l’exception des parlers d’Évolène, de Liddes, ainsi que partiellement de Sixt et (très partiellement) de St-Jean et de Torgnon.

Corpus

Les cartes 33060 et 33061 s’appuient sur la totalité des formes du CS.3sg.m. prévocalique (ou de son non-emploi) dans nos matériaux, 1706 attestations en tout.

Le plus grand contingent d’attestations est constitué par les 3sg d’«être» et d’«avoir» (pour les formes verbales correspondantes, cf. aussi les cartes n° 51330 à 51344, 52330 et 52360); dans la mesure du possible, dans la liste des attestations, nous avons privilégié ici les autres verbes à initiale vocalique («arriver, (h)ausser») ou dont un [l] initial étymologique s’est amuï ([aʃjˈɛ] ‘laisser’).

Relevés antérieurs

Le CS.3sg.m prévocalique fait l’objet de 8 colonnes des TP¹. La comparaison avec les données pour le féminin (cf. le commentaire de notre carte n° 33050) montre qu’au début du XX^e siècle déja, les formes des CS.3sg du masculin et du féminin étaient identi­ques dans 10 parlers sur 15. Les cartes correspondantes de l’ALF (8 cartes qui comportent un «il» pré­vocalique devant «être» et «avoir») n’apportent pas de renseignements supplémentaires.

Cartographie, analyse

– Dans une majorité des parlers valaisans situés surtout dans l’Ouest du domaine, mais aussi à Savièse, Chalais, St-Jean et Bionaz, le masculin et féminin prévocalique est caractérisé par des formes en [l], inusitées en position préconsonantique: [l] seul ainsi que [il], [el, ɛl], [øl, œl, əl] et [al, ɑl]. Dans tous ces parlers à l’exception de Sixt, [l] seul est la forme individuelle la plus fréquente, et c’est la seule forme attestée à Liddes et aux Marécottes. Dans les autres parlers, le polymorphisme reste important. Quant à la voyelle de ces formes, elle se situe dans la même zone du système vocalique que les formes préconsonantiques, ce qui reflète la parenté étymologique entre les séries prévocalique et préconsonantique. L’existence, dans de nombreux parlers (11 sur 25), d’une forme [el, ɛl] pour le CS.3sg.m pourrait signifier que les formes analogues du CS.3sg.f prévocalique sont autochtones, à l’inverse de ce qui a été dit pour les rares [ɛl] préconsonantiques, limitées au féminin (carte n° 33030).

– Un deuxième groupe de parlers, plus petit, situé plutôt à l’Est du domaine (Conthey, Lens, Montana, Miège au nord du Rhône, Lourtier, Nendaz, Évolène au sud du Rhône, ainsi que Torgnon), utilise en revanche de manière exclusive des formes sans [l], proches de celles du masculin préconsonantique: [i], [e, ɛ], [ø]. Dans ces formes, pour éviter l’hiatus, les [i] peuvent passer à [j] et les [i, e, ɛ] dégager un [j] de transition, parfois à peine perceptible (> [ij], [ej, ɛj]), devant la voyelle initiale du verbe.

– Dans un troisième groupe de parlers enfin, sans continuité territoriale, certaines formes en [l] se sont introduites dans un système composé majoritairement de formes vocaliques [i, ɪ, e, ɛ, ø] – ou, inversement, une forme vocalique a pu s’introduire dans un système de formes majoritaires en [l].

– Une mention spéciale est nécessaire pour le parler d’Arbaz où nous n’avons relevé aucune occurrence d’un CS.3sg.m prévoc. Comme cela ressort aussi des cartes n° 51332 «il a» et 51340 «elle est, il est», le parler d’Arbaz a fréquemment agglutiné un [l] initial aux formes verbales correspondantes. Celui-ci a complètement perdu sa fonction morphologique de clitique sujet, comme le montrent les énoncés suivants qui placent un pronom réfléchi ou un pronom régime devant la forme verbale devenue inséparable, [le, lʏ] ‘il est, elle est’ et [la] ‘il a, elle a’:

 matˈ ʃ le bɹekˈo ɑ tsˈːbɑ (Arbaz)
Le garçon s’est cassé la jambe.

ɛ mɑtˈɔŋ ʃe lʏ brøkˈo ɑ tsˈŋmɑ
Le garçon s’est cassé la jambe.

 tsŋ o lɑ mwˈiːrɐ - ɑ ɐ pˈotɑ
Le chien l*’a mordu .. à la fesse.
*[o] est une forme du pronom régime direct dans ce parler qui tend à vocaliser le [l] initial.

Dans certains cas, en position prévocalique ou préconsonantique, ces formes du verbe à [l] initial ag­glutiné perdent même leur voyelle , de sorte que le [l] seul représente désormais le verbe «être» ou (plus rarement) «avoir»:

ʃy ɑ plˈɑʃə dː - dʏ vʏoˈɑːzə lœ nɑ - l m bwe
Sur la place de .. du village il y a (litt. il est) une .. il y a (litt. il est) une fontaine*.
* [bwe] cf. bè n.m 1. ‘bassin de fontaine en bois, creusé dans un tronc, abreuvoir’ (GPSR 2: 601); 2. par ext. ‘fontaine’ (FQ 1989: 39; FB 1960: 96).

l ɔ ʃˈɔrɛmntˈ - ʃˈɔrɛmntˈ
^Il a le double menton .. double menton.

Toutes les formes à [l] initial agglutiné des deux verbes auxiliaires sont évidemment recensées parmi les occurrences des cartes n° 33030 et 33040 (formes préconsonantiques du clitique sujet de la 3sg), ce qui explique le nombre relativement bas d’attestations de verbes à initiale vocalique pour Arbaz, en comparaison avec les autres parlers.

– Un phénomène analogue concerne le verbe «aimer» dans plusieurs parlers qui ont agglutiné un [l] analogique à différentes formes du paradigme (cf. Bionaz [lamˈɑdə vo] ‘aimez-vous?’, [lˈamə] ‘il, elle aime’, Lens [ɔ lˈaŋma vɔ] ‘vous aimez-vous’, [lø bɔ pˈeːrə la lmaˈɛ pa] ‘le beau-père l’aimait pas’). Ces formes à initiale consonantique sont également recensées parmi les matériaux des cartes n° 33030 et 33040.

– En ce qui concerne la forme prévocalique dominante du CS.3sg.m prévoc. [al, ɑl] à Sixt, on observe que dans un nombre relativement élevé d’occurrences, quand l’auxiliaire «être» se trouve en position prévocalique, la forme [et] (avec le [t] comme consonne de liaison, cf. carte n° 51344) perd sa voyelle initiale; il ne reste plus que le [t]. Malgré cela, le clitique sujet conserve sa forme «prévocalique»:

 m  zəvˈɲ kt al t aʀʋˈɑ j øtˈɑ l tθo t (SixtM)
Je m’en souviens quand il est arrivé c’était l’été.

Nous considérons que dans ce cas, le locuteur a sélectionné la forme prévocalique ordinaire (comme devant la forme verbale pleine) comme si, dans sa conscience, la voyelle initiale du verbe auxiliaire était encore présente, et nous conservons les énoncés correspondants dans les cartes qui étudient les formes prévocaliques.

N.B. Pour des précisions ultérieures concernant la 3.sg.m du verbe «avoir», cf. aussi la carte n° 51332.

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¹ cf. TP col. 46, 97, 142, 180, 243, 286, 406, 429, 439 pour le masculin, col. 105, 306, 328 pour le féminin. À l’exception de la col. 97, toutes les attestations concernent les verbes auxiliaires être et avoir.