Carte n° 31020: «je». Morphologie et fréquence du clitique sujet préconsonantique de la 1^re personne du singulier (CS.1sg précons.)

Corpus

Notre questionnaire comprend 59 énoncés comprenant un clitique sujet préconsonantique à la 1^re personne du singulier (CS.1sg précons.), 28 dans la partie commune s’adressant aux témoins féminins et masculins, 20 dans la partie s’adressant aux femmes et 11 dans la partie s’adressant aux hommes. En tenant compte des reformulations («on» remplaçant «je», etc.) qui diminuent le nombre d’attestations disponibles, mais aussi des nombreux énoncés spontanés supplémentaires, nous avons recueilli en moyenne, pour chaque parler, 80 énoncés avec une forme verbale susceptible d’être précédée d’un CS.1sg préconsonantique (précisions statistiques pour les locuteurs individuels à la carte n° 31021). Ce nombre d’occurrences nous permet de documenter sur une base relativement solide l’important polymorphisme caractérisant les formes du CS.1sg préconsonantique et les différences considérables entre les parlers dans la fréquence d’emploi de ces formes.

Le nombre d’attestations disponibles dans les différents parlers varie également en fonction de certains phéno­mènes phonétiques.

• Dans plusieurs parlers, valaisans, valdôtains et savoyards, on trouve le CS.1sg préconsonantique – très souvent aussi le CS.Ø – devant des verbes qui ont agglutiné de manière analogique une consonne initiale alors que, étymologiquement, ils commencent par voyelle. C’est la cas p.ex. du verbe «aimer» qui, dans nos matériaux, présente un l- initial dans toutes les formes du paradigme, à Bionaz, Chalais, Chamoson, Fully, Hérémence, La Chapelle-d’Abondance, Lens, Miège, Montana et Torgnon (à ce sujet, cf. aussi le commentaire de GPSR 1: 226). Voici, comme illustration, deux exemples de Fully, avec et sans CS.1sg préconsonantique:

Ce phénomène se retrouve à la 1sg du paradigme d’«avoir» («j’ai») qui peut présenter un [l]- ou [n]- initial agglutiné à Arbaz, Bionaz, Chamoson, Évolène, Fully, Nendaz et Savièse (cf. l’analyse de la carte n° 51180 et les exemples suivants):

Par conséquent, la grande majorité des attestations pour «j’ai» à Arbaz, Bionaz, Chamoson et Fully concernent l’emploi (et le non-emploi) du CS.1sg en position préconsonantique; on les chercherait en vain à la carte n° 31030 qui illustre l’emploi du CS.1sg en position prévocalique.

• Inversement, dans plusieurs parlers valaisans, le [l]- et le [v]- initial peuvent s’amuïr. Des verbes qui, étymologiquement, commencent par consonne, ont perdu celle-ci, et illustrent donc l’emploi (ou le non-emploi) du CS1.sg en position prévocalique (cf. la carte n° 31030), comme dans les exemples suivants de Savièse:

Relevés antérieurs

Le CS.1sg précons. a été enregistré dans 8 énoncés des TP (col. 47, 109, 192, 340, 346, 384, 403, 440). Pour certains parlers, ces matériaux documentent la nature facultative du CS.1sg précons. (1 emploi sur 8 à Conthey et à Orsières, 6 sur 8 à Évolène, 7 sur 8 à Miège), mais pour la majorité des parlers, le nombre d’occurrences est probablement trop bas pour faire apparaître le phénomène. De même, les matériaux des TP fournissent quelques rares indices pour le polymorphisme du CS.1sg précons. qui caractérise la plupart de nos parlers: y et y à Lourtier, y, y et ĭ à Fully. Mais le nombre d’attestations est décidément trop petit pour faire apparaître les nombreux allomorphes moins fréquents que nous avons pu enregistrer.

L’étude de Martin 1974a s’appuie sur une seule carte de l’ALF (carte n° 23 «je vais») et une seule liste des TP (col. 47 «je dois»). Elle n’est donc pas en mesure de documenter le polymorphisme de la CS.1sg précons. dans les parlers valaisans, et elle ne s’intéresse pas à l’emploi facultatif de la forme dans tous nos parlers. L’article de Kristol 2009 précise celui de Martin pour l’espace valaisan, mais s’appuie sur un dépouillement encore incomplet des données de l’ALAVAL, ce qui explique les petites divergences dans les chiffres absolus qui y sont fournis et ceux du présent tableau.

Analyse

Nos matériaux n’ont révélé aucune différence significative dans l’inventaire des formes entre les informateurs féminins et masculins. Nous ne distinguons donc pas le sexe des locuteurs dans la carte et dans le tableau des formes.

Malgré la diversité considérable des formes attestées, il reste possible de reconnaître une unité (toute relative) de l’espace valaisan: exception faite du [no] de Conthey qui est isolé (voir ci-dessous), toutes les formes appartiennent

Dans de nombreux parlers valaisans, la co-présence des formes en [j-] et des formes sans [j-] est courante, et la variation est importante (jusqu’à six formes à Isérables, Nendaz et St-Jean). Dans les cas où une forme individuelle est nettement majoritaire, elle est marquée par un bord plus épais sur la carte, et en gras dans le tableau des formes attestées.

Les dialectes qui utilisent une forme unique, selon nos matériaux, ne sont qu’au nombre de quatre (Chalais, Hérémence, Lens, Orsières), et cette forme unique, en général très rare, est toujours doublée du clitique zéro.

Face à la prolifération des formes co-présentes, les chiffres du tableau permettent de mieux saisir leur répartition dans l’espace valaisan. Celui-ci distingue

• une zone qui privilégie les formes en [j]- (essentiellement dans la partie orientale du domaine et sur la rive gauche du Rhône: Miège, Chalais, St-Jean, Évolène, Nendaz, Isérables et, en prolongement occidental de cette zone, Les Marécottes),
• une zone qui préfère les formes sans [j]- initial (rive droite du Rhône: Arbaz, Savièse, Fully; Chablais: Troistorrents et Val-d’Illiez; région du Grand St-Bernard: Orsières, Bionaz).

Ce constat peut s’expliquer de différentes manières: soit par une évolution interne qui est en cours et qui tendrait à éliminer le [j] initial – notre corpus contient en effet quelques attestations dans lesquelles le [j] est à peine audible –, soit par une propagation des formes sans [j] dans les parlers du Valais «épiscopal», à partir des parlers occidentaux où celles-ci sont majoritaires.

Les autres solutions ne se trouvent qu’à l’extérieur du Valais:

– les formes commençant par [dz‑] ou [z-] () en Vallée d’Aoste,

– celles en [d-] ([do] , [dɪ, dʏ, dø, dœ, də, d, (n), t] ) en Haute-Savoie et à Torgnon (où c’est la forme dominante) et à titre d’exception, à Liddes,

– celles en [ð-] () dans nos deux points d’enquête savoyards.

Dernière révision de cette page: 09.01.2021.